Guider le regard dans les médias visuels

Les médias visuels, qui regroupent l’art, la photographie et le cinéma, transmettent du sens à leur public en utilisant de manière stratégique des règles de mise en avant. Ces techniques délibérées permettent aux créateurs de diriger l’attention du spectateur et d’influencer son interprétation d’une image ou d’un récit[1]. Ces techniques sont les fondements de la construction d’une œuvre visuelle et permettent aux artistes de communiquer efficacement des émotions, des histoires et des idées[2]. Comprendre ces règles est essentiel, autant pour les créateurs qui souhaitent concevoir des visuels percutants que pour les observateurs qui cherchent à analyser et à interpréter les messages qu’ils contiennent[3].

Le rôle principal des créateurs de médias visuels consiste à diriger l’attention du public[4]. Les règles de mise en avant peuvent également être utilisées pour influencer ce que nous pensons et ce que nous ressentons face à ce que nous voyons. Par exemple, désaturer les couleurs pour représenter la vie restreinte de certains personnages ou modifier la lumière pour accentuer la tension renforcent la portée émotionnelle et thématique d’une œuvre[5].

Lignes

Les lignes sont des outils puissants pour orienter le regard vers un point focal, qu’elles soient explicites ou simplement suggérées. En général, nos yeux suivent naturellement les lignes les plus visibles d’une image, mais aussi les regards et les mains des personnages identifiables[6]. Notre regard suit aussi la trajectoire de toute personne ou de tout objet en mouvement[7].

  • Les lignes horizontales évoquent la stabilité et le calme[8].
  • Les lignes verticales suggèrent le dynamisme, l’activité et un mouvement ascendant ou descendant[9].
  • Les diagonales sont dynamiques et créent une impression de mouvement, de tension et de profondeur, guidant souvent le regard vers l’intérieur du cadre[10].
  • Les lignes courbes évoquent plutôt un cheminement, une progression, qu’une trajectoire directe[11].
  • Les lignes convergentes conduisent le regard vers un point ou un sujet précis, dans une technique appelée perspective à un point de fuite, utilisée de manière emblématique par Stanley Kubrick[12].
  • Les lignes directrices sont des lignes réelles ou imaginaires qui guident le regard vers les éléments importants, établissant des liens entre les sujets, les objets, les situations ou les personnages secondaires. On les retrouve dans la nature, comme les rivières ou les horizons, ou dans les structures artificielles, comme les rues ou les bâtiments[13].

Formes

Les formes, qu’elles soient géométriques ou créées par les relations entre les éléments, transmettent elles aussi du sens. Les formes arrondies peuvent paraître rassurantes, tandis que les formes pointues peuvent évoquer la peur.

  • Les carrés « représentent la stabilité et constituent une forme fiable et familière, symbole d’honnêteté et de solidité »[14].
  • Les cercles procurent un sentiment de sécurité et de protection[15], mais sont moins stables que les carrés, car ils « véhiculent un sentiment de liberté dans le mouvement »[16].
  • Les triangles « sont associés au dynamisme et au pouvoir pour indiquer une direction… Ils peuvent symboliser la force d’un côté et le conflit de l’autre »[17].

Il est aussi possible de combiner ces différentes formes, par exemple en arrondissant les coins d’un carré pour créer un équilibre entre force et sécurité. D’autres effets peuvent être obtenus en faisant pivoter des formes (comme retourner un triangle pour mettre l’accent sur sa base plutôt que ses pointes) ou en les déformant, par exemple en inclinant un rectangle pour le transformer en parallélogramme, transformant ainsi ses angles droits en pointes[18].

Composition

Au cœur de la communication visuelle se trouvent les éléments de composition, organisés de façon délibérée pour attirer le regard du spectateur et façonner sa perception[19]. En général, le public « accorde plus d’importance aux personnages et aux objets placés au centre », tandis qu’une composition décentrée ou asymétrique crée davantage de tension et de dynamisme[20].

L’une des méthodes les plus simples pour composer une image, et pour en analyser la structure, est la règle des tiers. Cette technique consiste à diviser l’image en neuf parties à l’aide de deux lignes horizontales et de deux lignes verticales. Placer les éléments essentiels aux quatre points d’intersection, ou aligner l’horizon sur les lignes horizontales, permet d’obtenir une image plus naturelle et agréable à regarder[21]. Les compositions décentrées ou asymétriques sont souvent plus engageantes, car elles encouragent l’interaction entre le sujet et son environnement[22].

Image
A photo of a boy on a bike with a 3x3 grid overlayed on it

Un autre aspect essentiel de la composition est l’utilisation de l’espace, parfois appelé « espace utile » dans l’image. Cela consiste à distinguer l’espace positif (les zones importantes et porteuses de sens) de l’espace négatif (les zones vides qui entourent le sujet). L’équilibre entre ces deux types d’espace influence fortement le poids visuel et l’impression générale d’une œuvre visuelle[23].

L’espace négatif peut produire des effets psychologiques. Il peut par exemple rendre un sujet plus petit pour suggérer la solitude ou l’isolement, ou rendre compte de l’échelle. L’espace négatif entre la ligne de regard d’un personnage et le bord de l’image s’appelle le champ du regard. S’il représente moins d’un tiers du cadre, il crée un effet appelé plan latéral court, qui génère un sentiment de tension ou de danger, car on ne voit pas ce qui se trouve devant lui. Le même phénomène se produit lorsqu’une figure en mouvement dispose de moins d’un tiers du cadre comme « espace d’avance »[24].

À l’inverse, remplir le cadre d’espace positif attire immédiatement l’attention sur le sujet, empêche le regard de s’égarer et crée une connexion émotionnelle plus forte[25].

Profondeur

Les médias visuels, bien qu’ils soient bidimensionnels, créent l’illusion d’un espace tridimensionnel en jouant sur la profondeur. Celle-ci peut également être utilisée pour orienter et focaliser l’attention du public.

Superposer des éléments au premier plan, au second plan et à l’arrière-plan renforce cette illusion; placer un élément au premier plan, entre la caméra et le sujet, est une manière simple d’ajouter de la profondeur et de donner du contexte[26]. Un point de fuite et des lignes directrices contribuent eux aussi à créer cette impression de profondeur[27].

Contraste

  • Le contraste utilise des éléments visuels opposés placés côte à côte pour créer du sens et renforcer certaines caractéristiques, ce qui capte l’attention du spectateur[28]. Comme le dit Molly Bang, « le contraste nous permet de voir »[29].
  • Les sujets contrastés produisent un effet fort et racontent une histoire de manière efficace, notamment en photographie, en mettant en évidence des thèmes comme l’opposition entre le jeune et le vieux[30].
  • Le contraste lumineux, appelé clair-obscur, fait jouer la lumière et l’ombre pour ajouter de la profondeur et du relief, faire ressortir les sujets de l’arrière-plan et intensifier les sous-entendus[31].
  • Le contraste de couleur s’appuie sur des couleurs complémentaires (comme l’orange et le bleu) pour créer des images percutantes et apporter de la variété[32].
  • Le contraste tonal met l’accent sur la gamme des noirs, des blancs et des gris pour créer du relief, comme l’illustre le travail du photographe Ansel Adams[33].

Le contraste peut aussi renforcer l’effet d’autres règles de mise en avant : en associant, par exemple, des personnages construits à partir de formes opposées ou en peignant une scène avec des couleurs contrastées. Comme l’explique Bruce Block dans The Visual Story, « plus le contraste d’un composant visuel est fort, plus l’intensité ou la dynamique visuelle augmente; à l’inverse, plus il existe d’affinités entre les composants visuels, plus cette intensité ou dynamique diminue »[34].

Couleur

La couleur est un outil puissant pour représenter la vision, influencer l’humeur et susciter des réactions émotionnelles.

Toute couleur comporte trois éléments :

  • La teinte, c’est-à-dire la position de la couleur sur le cercle chromatique (rouge, orange, jaune, vert, cyan, bleu, violet ou magenta).
  • La luminosité, qui correspond à la quantité de blanc ou de noir ajoutée à cette teinte de base.
  • La saturation: une couleur composée d’une seule teinte est entièrement saturée; dès qu’une autre teinte s’y mêle, elle l’est moins. Une couleur composée à parts égales de deux teintes opposées ou complémentaires est totalement désaturée et devient grise[35].

Toutes les composantes de la couleur : la teinte, la luminosité et la saturation, peuvent servir de règles de mise en avant. Dans les publicités alimentaires, les produits sont généralement présentés avec des couleurs vives et saturées qui attirent notre attention et évoquent des fruits et des baies bien mûrs. Les mêmes images en niveaux de gris ont un impact beaucoup plus faible, tant sur notre attention que sur notre appétit[36].

Image
A low-angle shot from the Plastic Man comic book,  by Jack Cole

La couleur est un élément tellement important dans les films d’animation que la plupart possèdent un script couleur. Ce document garantit que les choix chromatiques correspondent à l’histoire et à l’ambiance et il guide les décisions liées à l’éclairage, à la composition des plans, à la conception des décors et même aux techniques de composition numérique[37]. Dans le film Là haut de Pixar, par exemple, le personnage d’Ellie est associé à la couleur rose. Lorsque nous voyons pour la première fois son mari Carl quitter leur maison après sa mort, « la douce lumière rose qui baignait la maison s’est estompée »[38].

Angle

L’angle de la prise de vue, qu’il s’agisse d’une caméra réelle dans le cas du cinéma ou de la photographie, ou d’un point de vue imaginaire dans d’autres médias visuels comme la bande dessinée, l’animation ou le jeu vidéo, détermine la perspective offerte au spectateur et influence profondément la composition et le sens[39].

  • Les angles parallèles, comme l’angle à hauteur des yeux ou celui au niveau du sol, offrent une perspective neutre ou spécifique[40].
  • Les angles perpendiculaires, comme l’angle en plongée ou en contre-plongée totale, sont plus extrêmes et créent un point de vue omniscient ou biaisés[41].
  • Les angles diagonaux, situés entre zéro et quatre-vingt-dix degrés, créent un certain biais. Un angle en contre-plongée peut conférer du pouvoir ou de l’autorité, tandis qu’un angle en plongée peut suggérer la vulnérabilité[42].

[1] Wilhelm, J.D., Baker T.N., & Hackett J.D. (2001) Strategic Reading: Guiding Students to Lifelong Literacy, 6-12. Heinemann.

[2] Worsnop, C. M. (2004). Media literacy through critical thinking. Washington State Office of Superintendent of Public Instruction and NW Center for Excellence in Media Literacy, 60.

[3] Castellano, A. (2024) The Art of Annotation: Teaching Readers to Process Texts. Cult of Pedagogy.

[4] Hickey, W. (2023). You Are What You Watch: How Movies and TV Affect Everything. Hachette UK.

[5] Neustaeter, B. (2022) 'Women Talking': How cinematography shows the story of abuse and recovery. CTV News.

[6] Phillips, K. (2025) From Sketch to Story. Alexander Graham Bell National Historic Site.

[7] Block, B. (2001) The Visual Story. Routledge.

[8] Bang, M. (2016) Picture This: How Pictures Work. Chronicle Books.

[9] Bang, M. (2016) Picture This: How Pictures Work. Chronicle Books.

[10] Bang, M. (2016) Picture This: How Pictures Work. Chronicle Books.

[11] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[12] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[13] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[14] Al-Ali, H. (2019) The Shape of Character Design. Medium.

[15] (2014) Quick Tips for Character Design. Cleveland Institute of Art.

[16] Al-Ali, H. (2019) The Shape of Character Design. Medium.

[17] Al-Ali, H. (2019) The Shape of Character Design. Medium.

[18] (2014) Quick Tips for Character Design. Cleveland Institute of Art.

[19] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[20] McCloud, S. (2006). Making comics: Storytelling secrets of comics, manga and graphic novels.

[21] Son, M. (2025) What is the rule of thirds in film? Descript.

[22] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[23] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[24] (2024) Negative Space: Film Composition Guide. Filmmakers Academy.

[25] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[26] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[27] Oosterhoff, D. (2015) How to read a photograph. Envato.

[28] Oosterhoff, D. (2015) How to read a photograph. Envato.

[29] Bang, M. (2016) Picture This: How Pictures Work. Chronicle Books

[30] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[31] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[32] Bang, M. (2016) Picture This: How Pictures Work. Chronicle Books.

[33] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[34] Block, B. (2001) The Visual Story. Routledge.

[35] Block, B. (2001) The Visual Story. Routledge.

[36] Del Gatto, C., Indraccolo, A., Imperatori, C., & Brunetti, R. (2021). Hungry for colours? Attentional bias for food crucially depends on perceptual information. Cognitive Processing, 22(1), 159-169.

[37] (2025) Color Script in Animation. Brink Helsinki. https://brinkhelsinki.com/logs/color-script-in-animation/

[38] Siegel, A. (2022) A Marriage Story: Inside the making of the brilliant, moving first 10 minutes of Pixar’s ‘Up.’ The Ringer.

[39] Garrison, A. (1999) Video Basics and Production Projects for the Classroom. Center for Media Literacy.

[40] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[41] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.

[42] StudioBinder. (2022) The Elements of Composition: A Complete Guide.