Impacts sur les jeunes

« J’étais dégoûtée. Je suis sortie de l’onglet et je me suis sentie mieux 10 secondes plus tard. » (Fille de 17 ans[1])

Nous savons que les jeunes accèdent à du contenu explicite en ligne. Nous en savons moins sur la façon dont cette exposition influence leurs attitudes et comportements. Si les enfants trouvent des renseignements exacts et appropriés à propos de la santé sexuelle ou de relations saines, alors il s’agit d’une chose positive, mais s’ils sont principalement exposés à la pornographie, alors ils pourraient plutôt recevoir des messages faussés sur les relations et les comportements sexuels.

De nombreuses préoccupations relatives à l’exposition des jeunes à du contenu sexuellement explicite ont été soulevées par les professionnels de la santé et d’autres intervenants. Elles comprennent la sexualité active à un âge précoce, la violence accrue ou l’abus dans les relations sexuelles, une acceptation accrue des stéréotypes sexuels et une grande obsession à l’égard de l’image corporelle. Cependant, les données probantes sont soit absentes, soit peu concluantes dans la plupart des cas. Par exemple, l’âge moyen des premières relations sexuelles n’a pas véritablement changé en Ontario entre 2000 et 2021, malgré les changements considérables survenus dans la disponibilité de la pornographie en ligne au cours de cette période[2], tandis qu’une étude réalisée en 2022 auprès de 3 000 adultes canadiens a révélé que l’âge moyen des premières relations sexuelles était de 17 ans[3], soit à peu près le même qu’en 1994[4].

L’idée selon laquelle la pornographie fournit aux spectateurs des scénarios sexuels, c’est-à-dire des idées sur les types de comportements attendus et agréables pour différentes personnes lors d’une relation sexuelle[5], est de plus en plus étayée, une idée plausible compte tenu que bon nombre de jeunes se tournent vers la pornographie pour s’informer sur la sexualité et « découvrir ce qui les attise et les stimule[6] ». Mais comme le dit Blake Spence, cocréateur du programme WiseGuyz basé à Calgary, « le scénario sur les relations sexuelles a été écrit pour les jeunes hommes : ils doivent être les agresseurs et tout est fait en fonction de leur plaisir et pas nécessairement celui de leur partenaire féminine. Ils doivent comprendre que ces messages peuvent être dommageables et qu’ils ne sont pas vraiment réalistes[7]. »

Là encore, les données probantes sont mitigées. Beaucoup craignent que les jeunes apprennent des scénarios sexuels agressifs[8], ou que certains actes sexuels violents ou même dangereux, comme la fessée ou l’étranglement, soient normalisés[9]. Mais si certains éléments indiquent que ces pratiques sont en hausse, rien ne prouve que la pornographie incite de nombreuses personnes à en faire l’essai[10]. En outre, ces comportements apparaissent assez rarement dans les vidéos pornographiques les plus regardées, et leur fréquence ne s’est pas accrue au fil du temps[11].

Il est clair que la majeure partie du contenu pornographique, que ce soit en raison du public imaginé, des pratiques de l’industrie ou des conventions et des limites techniques des genres comme les vidéos du point de vue de la première personne, priorise la satisfaction sexuelle masculine des hommes[12] et, bien qu’elles montrent fréquemment des femmes en train d’avoir du plaisir[13], elles montrent relativement rarement des comportements sexuels axés précisément sur le plaisir des femmes[14]. Certaines études qualitatives ont montré qu’environ un tiers des jeunes sexuellement actifs ont essayé quelque chose qu’ils avaient vu pour la première fois dans un film pornographique (les jeunes hommes et les jeunes femmes sont aussi nombreux à dire le faire), et ceux qui l’ont fait font état d’une combinaison de résultats positifs et négatifs[15]. Les attitudes à l’égard du consentement peuvent également être influencées puisque la pornographie présente assez souvent des scénarios dans lesquels l’un des partenaires ne donne pas son plein et libre consentement (p. ex. lorsqu’il y a une différence de pouvoir entre les partenaires, ou qu’une personne initialement réticente est persuadée de s’engager dans un acte sexuel)[16] et le fait d’en regarder a été associé à une plus grande acceptation des mythes sur le viol[17].

Comme pour la plupart des effets des médias, les impacts potentiels de la pornographie sont complexes. S’il est possible d’affirmer avec certitude qu’elle a, dans l’ensemble, un certain impact sur la vision qu’ont les jeunes de la sexualité et des relations, ainsi que sur leurs comportements sexuels[18], il est également vrai que « des recherches récentes suggèrent que les effets de l’exposition à la pornographie dépendent probablement d’un grand nombre de facteurs qualificatifs et modérateurs[19] ».

Parmi ces facteurs, de nombreux effets de la pornographie sont également associés à des contenus médiatiques sexualisés mais non explicites. Par exemple, les vidéoclips ont un lien similaire avec plusieurs comportements associés au sextage, tout comme la pornographie[20], tandis qu’une méta-étude portant sur les « médias sexualisés allant de personnages peu vêtus à la pornographie explicite » révèle que les associations avec l’agressivité étaient similaires pour la pornographie et les contenus sexualisés non explicites comme les films grand public et les jeux vidéo[21].

Autre facteur : comme pour d’autres médias, les jeunes ne sont pas nécessairement des spectateurs passifs. S’ils sont peut-être plus susceptibles que les adultes d’être influencés par ce qu’ils voient dans le contenu pornographique, ils ont déjà des croyances, des valeurs et des goûts : la plupart d’entre eux, par exemple, n’apprécient pas les vidéos comportant des agressions ou des relations sexuelles manifestement non consensuelles[22], et aimeraient en voir moins. Comme l’a dit un participant à une étude, l’agressivité dans la pornographie « me rebute. Je ne sais pas pourquoi c’est là. J’aimerais en voir moins. Même si la scène est truquée, ça me rebute[23]. » Par conséquent, la plupart des jeunes (mais pas tous) préfèrent regarder des contenus qui correspondent à leur propre vie sexuelle, réelle ou espérée[24].

« Je me suis demandé si je n’étais pas assez agressif parfois, ou même s’il y avait une préférence générale pour l’agressivité. Je me demande si les gens aiment ça et s’ils font semblant ou non[25]. »

Bien qu’ils soient conscients que la pornographie n’est pas réelle, bon nombre d’entre eux estiment qu’elle l’est « en quelque sorte »[26], une idée fausse qui peut être exacerbée par la popularité des vidéos amateurs ou prétendument « spontanées » et les relations parasociales créées sur des plateformes comme OnlyFans. Aussi, même s’ils ne pensent pas eux-mêmes que la pornographie reflète la réalité, bon nombre de jeunes subissent un effet à deux niveaux[27], où ils ne sont pas directement influencés par les médias, mais par leur perception de la façon dont les autres sont influencés : « Les spectateurs peuvent soutenir l’inclusion de certains actes sexuels agressifs simplement parce qu’ils pensent que ces actes sont normatifs et que la plupart des spectateurs, ou du moins un bon nombre, le désirent[28] ». De même, une étude a montré que les étudiants à l’université qui regardaient de la pornographie étaient moins susceptibles d’utiliser des préservatifs lors de leurs relations sexuelles puisque leur utilisation diminuait leur estimation du nombre de leurs pairs qui les utilisent[29].


[1] Cité dans The Collaborative Trust for Research & Training in Youth Health & Development (2020). Growing Up With Porn: Insights from young New Zealanders : https://www.classificationoffice.govt.nz/media/documents/Growing_up_with_porn.pdf. [traduction]

[2] Peel Public Health (sans date). Age of first sexual intercourse : https://www.peelregion.ca/health/statusdata/pdf/sexual-intercourse-d.pdf

[3] Peragine, D.E., Skorska, M.N., Maxwell, J.A., Impett, E.A., et VanderLaan, D.P. (2022). « The Risks and Benefits of Being “Early to Bed": Toward a Broader Understanding of Age at Sexual Debut and Sexual Health in Adulthood ». The Journal of Sexual Medicine, 19(9), 1343-1358.

[4] Odynak, D. (1994). « Age at first intercourse in Canada: some recent findings ». Canadian Studies in Population [ARCHIVES], 51-70.

[5] Sun, C., Bridges, A., Johnson, J., et Ezzell, M. (2016). « Pornography and the Male Sexual Script: An Analysis of Consumption and Sexual Relations ». The Official Publication of the International Academy of Sex Research, 45(4), 983-994. doi:10.1007/s10508-014-0391-2.

[6] Robb, M., et Mann S. (2022). « Teens and Pornography ». Common Sense. [traduction]

[7] Bielski, Z. « In the age of Internet porn, teaching boys to be good men ». The Globe and Mail, 21 avril 2012. [traduction]

[8] Peter, J., et Valkenburg, P.M. (2016). « Adolescents and pornography: A review of 20 years of research ». The Journal of Sex Research, 53(4-5), 509-531.

[9] Herbenick, D., Guerra-Reyes, L., Patterson, C., Rosenstock Gonzalez, Y.R., Wagner, C., et Zounlome, N. (2021). « It was scary, but then it was kind of exciting”: Young women’s experiences with choking during sex ». Archives of sexual behavior, 1-21.

[10] Herbenick, D., Guerra-Reyes, L., Patterson, C., Rosenstock Gonzalez, Y.R., Wagner, C., et Zounlome, N. (2021). « It was scary, but then it was kind of exciting”: Young women’s experiences with choking during sex ». Archives of sexual behavior, 1-21.

[11] Seida, K., et Shor, E. (2020). « Aggression in pornography: myths and realities ». Routledge.

[12] Fritz, N., Malic, V., Fu, T.C., Paul, B., Zhou, Y., Dodge, B., Fortenberry, J.D., et Herbenick, D. (2022). « Porn sex versus real sex: sexual behaviors reported by a US probability survey compared to depictions of sex in mainstream internet-based male–female pornography ». Archives of sexual behavior, 51(2), 1187-1200.

[13] Seida, K., et Shor, E. (2020). « Aggression in pornography: myths and realities ». Routledge.

[14] Fritz, N., Malic, V., Fu, T.C., Paul, B., Zhou, Y., Dodge, B., Fortenberry, J.D., et Herbenick, D. (2022). « Porn sex versus real sex: sexual behaviors reported by a US probability survey compared to depictions of sex in mainstream internet-based male–female pornography ». Archives of sexual behavior, 51(2), 1187-1200.

[15] The Collaborative Trust for Research & Training in Youth Health & Development (2020). Growing up with porn: Insights from young New Zealanders.

[16] Minds over Media (2019). Breaking Down Porn: A Classification Office Analysis of Commonly Viewed Pornography in NZ : https://researchspace.auckland.ac.nz/bitstream/handle/2292/49408/Breaking-Down-Porn.pdf?sequence=2.

[17] Maes, C., Schreurs, L., van Oosten, J.M., et Vandenbosch, L. (2019). « #(Me) too much? The role of sexualizing online media in adolescents’ resistance towards the metoo-movement and acceptance of rape myths ». Journal of adolescence, 77, 59-69.

[18] Coyne, S.M., Ward, L.M., *Kroff, S.L., *Davis, E.J., *Holmgren, H.G., Jensen, A.C., Erickson, S., et *Essig, L.W. (2019). « Contributions of mainstream sexual media exposure to sexual attitudes, perceived peer norms, and sexual behavior: A meta-analysis ». Journal of Adolescent Health, 64, 430-436.

[19] Seida, K., et Shor, E. (2020). « Aggression in pornography: myths and realities ». Routledge. [traduction]

[20] Van Ouytsel, J., Ponnet, K., et Walrave, M. (2014). « The associations between adolescents' consumption of pornography and music videos and their sexting behavior ». Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, 17(12), 772-778.

[21] Burnay, J., Kepes, S., et Bushman, B. J. (2022). « Effects of violent and nonviolent sexualized media on aggression‐related thoughts, feelings, attitudes, and behaviors: A meta‐analytic review ». Aggressive behavior, 48(1), 111-136.

[22] The Collaborative Trust for Research & Training in Youth Health & Development (2020). Growing up with porn: Insights from young New Zealanders.

[23] Seida, K., et Shor, E. (2020). « Aggression in pornography: myths and realities ». Routledge. [traduction]

[24] Vertongen, R., van Ommen, C., et Chamberlain, K. (2022). « Adolescent Dilemmas About Viewing Pornography and Their Efforts to Resolve Them ». Journal of Adolescent Research, 07435584221133307.

[25] Seida, K., et Shor, E. (2020). « Aggression in pornography: myths and realities ». Routledge. [traduction]

[26] Vertongen, R., van Ommen, C., et Chamberlain, K. (2022). « Adolescent Dilemmas About Viewing Pornography and Their Efforts to Resolve Them ». Journal of Adolescent Research, 07435584221133307.

[27] Valkenburg, P.M., Peter, J., et Walther, J.B. (2016). « Media effects: Theory and research ». Annual review of psychology, 67, 315-338.

[28] Seida, K., et Shor, E. (2020). « Aggression in pornography: myths and realities ». Routledge. [traduction]

[29] Wright, P.J., Tokunaga, R.S., et Kraus, A. (2016). « Consumption of pornography, perceived peer norms, and condomless sex ». Health Communication, 31(8), 954-963.