Réponses
Comment les écoles, les parents et les décideurs politiques doivent-ils réagir au sextage? Sur la base de nos connaissances, des recherches de HabiloMédias et d’autres sources, nous pouvons tirer un certain nombre de conclusions.
Traiter des normes de genre : Il est clair que la majeure partie du tort découlant du sextage est liée aux doubles standards de genre qui représentent les filles comme étant à la fois des gardiennes de leur innocence sexuelle et, si elles dérogent de ce rôle, comme responsables des conséquences qu’elles pourraient subir en raison de leurs actions. Les recherches indiquent que ces stéréotypes existent même dans les campagnes éducatives de lutte contre le sextage, une autre façon dont des interventions mal choisies peuvent causer plus de tort que de bien[i]. Puisque ces normes de genre sont souvent communiquées et renforcées par les médias de masse, les programmes de littératie médiatique établis pour remettre en question les messages liés au genre dans les médias et la société doivent faire partie de toute programmation qui vise à atténuer les risques possibles du sextage. Nous pouvons également aider les jeunes à reconnaître les stéréotypes de genre nuisibles dans les médias de manière plus générale : consultez notre section sur la représentation des sexes pour en savoir plus sur la façon de le faire.
Changer la culture liée au partage de sextos et aider les jeunes à le voir comme une question éthique : Les jeunes qui partagent des sextos ne considèrent pas qu’il s’agit d’une question morale ou éthique, ou encore ne considèrent pas que les expéditeurs originaux sont dignes d’une considération morale.
Il existe également des preuves d’un lien entre « le caractère et le comportement en ligne et la prise de décision[ii] », ce qui peut être attribuable à certaines caractéristiques de la communication numérique qui nous empêchent de ressentir de l’empathie envers les autres. Les « pièges de l’empathie », c’est-à-dire l’anonymat, l’absence de signaux faciaux ou de langage corporel, l’asynchronisme de la communication en ligne et la possibilité d’une plus grande distance psychologique par rapport à une situation peuvent nous empêcher de voir les impacts de ce que nous voyons ou faisons aux autres ou même de considérer le monde en ligne comme un « espace moral[iii] ». Nous devons identifier les jeunes qui transmettent des sextos et les aider à y voir une question morale.
Les recherches indiquent qu’il pourrait être plus efficace de cibler les jeunes qui partagent des sextos[iv], lesquels sont après tout ceux qui sont plus susceptibles de causer du tort, plutôt que les expéditeurs originaux[v]. Les interventions devraient préparer les jeunes à reconnaître et à éviter les différents mécanismes de désengagement moral qui peuvent leur faire croire qu’il est acceptable de faire quelque chose qu’ils savent inapproprié, comme partager le sexto d’une autre personne sans son consentement.
Différence entre envoyer et partager des sextos : Les interventions, les programmes et les politiques doivent faire une différence entre l’envoi de sextos et le partage non consensuel de sextos, et devraient adopter des approches différentes pour chacun de ces gestes. Les parents et les autres adultes qui ont la garde de jeunes devraient pouvoir compter sur du soutien afin de les aider à comprendre l’importance de traiter des deux questions. Les jeunes peuvent considérer que le partage non consensuel n’est pas important[vi] ou même comme une chose qui améliore le statut social de la personne qui le distribue, le rendant ainsi « acceptable » et « drôle » [vii].
Ne pas adopter une approche punitive à l’égard de l’envoi de sextos : Les experts pensent à juste titre qu’une réponse « exemplaire » au sexto ne fasse que revictimiser des jeunes dont les photos intimes ont été rendues publiques, ou humilient de jeunes couples échangeant des photos sexuelles. La peur de telles conséquences ne ferait qu’empêcher les jeunes à chercher de l’aide lorsque les choses tournent mal.[viii] Alors que les jeunes doivent être sensibilisés aux risques liés à l’envoi de sextos, un nombre croissant d’experts considèrent que les sextos consensuels entre adolescents engagés dans une relation sont « une partie saine de la croissance » et estiment que « l’exploration de leur identité sexuelle n’est pas seulement normale, mais un impératif développemental et biologique[ix] ».
Tenir compte du contexte. Les adultes doivent être sensibles aux circonstances relatives à l’envoi d’un sexto : était-ce juste une blague entre amis? Ou quelque chose de privé entre amoureux? Y a-t-il eu pression? L’un des protagonistes était-il mal intentionné? Il est évident que selon le contexte, la réponse sera différente.
Le sextage devrait également être considéré dans le contexte large des relations et de la sexualité des jeunes. Les recherches révèlent que l’envoi de sextos indique qu’un jeune a l’intention d’être actif sexuellement au cours de la prochaine année : par conséquent, Jeff Temple, psychologue à l’Université du Texas en médecine, dit que « si le sextage est antérieur au sexe, alors il revêt une importance pour la santé publique. Il devient un marqueur de l’activité sexuelle, ce qui pourrait être une bonne occasion de leur parler de sexualité sans risque avant qu’ils n’aient des relations sexuelles et de prévenir les débuts précoces de la sexualité et les comportements sexuels à risque[x]. »
Éviter de se concentrer sur les conséquences négatives. Cela peut sembler contraire à l’intuition, mais la recherche disponible laisse entendre que les interventions sont moins susceptibles de réussir si elles portent uniquement sur les conséquences négatives possibles, et qu’elles pourraient au contraire être nuisibles.[xi] En fait, les élèves qui pensent que l’envoi de sextos risque de mener au chantage ou de donner mauvaise réputation ne sont pas moins susceptibles de s’y adonner[xii]. Même aux États-Unis, où les expéditeurs de sextos sont beaucoup plus susceptibles de faire l’objet de poursuites pénales, la recherche a montré que les jeunes qui sont conscients des conséquences juridiques possibles du sextage sont en fait plus susceptibles de s’y adonner[xiii].
Plutôt que de se concentrer sur les conséquences négatives, l’objectif devrait être « d’engendrer une éthique sexuelle numérique » où les jeunes apprennent à déconstruire les pratiques néfastes comme le blâme de la victime et la honte sociale[xiv]. En d’autres termes, il faut promouvoir la « citoyenneté sexuelle[xv] » pour aider les jeunes à prendre des décisions fondées sur des pratiques éthiques concernant leur propre sexualité et celle des autres. Mise à part la tendance générale des adolescents de se laisser influencer par les résultats positifs possibles d’une action et non par ses aspects négatifs possibles, comme un grand nombre des élèves qui envoient des sextos ne subissent aucune conséquence négative, il est probable que les interventions centrées sur les conséquences négatives ne leur semblent pas pertinentes. En effet, une étude conclut que « Les messages à l’intention des jeunes sur le sextage et ses conséquences devraient être crédibles, cohérents et adaptés aux réalités de l’expérience sociale des adolescents [xvi]. » La réalité est que la plupart des jeunes ne sont pas victimes d’intimidation, de harcèlement ou de punition juridique grave parce qu’ils envoient des sextos[xvii]. Par conséquent, comme la chercheuse sur le sextage Elizabeth Englander le dit, « si nous présentons les conséquences négatives du sextage comme étant inévitables, alors nous avons perdu notre public puisque les jeunes savent que, pour la majorité d’entre eux, cela n’arrive pas [xviii]. »
Enseigner aux jeunes comment reconnaître et tisser des relations saines et comment résister à la pression associée à l’envoi, et au partage, de sextos. De nombreuses preuves indiquent que l’envoi de sextos peut être inoffensif dans le contexte d’une relation saine et respectueuse[xix]. Il est également prouvé que le sextage risque plus de causer des dommages dans les cas où l’expéditeur est contraint : selon une étude, seulement 8 % des jeunes qui ont envoyé des sextos de leur plein gré ont indiqué avoir eu des problèmes associés à ceux-ci, comparativement à 32 % de ceux qui avaient été poussés à envoyer des sextos. Avoir été contraint à envoyer des sextos est associé au fait d’avoir été victime de violence dans les fréquentations [xx]. Il semble donc probable que plutôt qu’enseigner à tous les élèves de ne pas envoyer de sextos, – ce qui ne fait qu’encourager le blâme de la victime[xxi] -- nous devrions les aider à reconnaître une relation malsaine et à résister à la pression liée à l’envoi de sextos. Les campagnes de lutte contre le sextage qui mettent l’accent sur l’abstinence peuvent également s’avérer néfastes à long terme puisqu’elles accusent les victimes de sextage d’avoir choisi « de produire et de partager des images » en premier lieu.
Élaborer des approches plus ciblées pour ceux qui sont exposés à un risque plus élevé de sextage, ce qui nécessitera de plus amples recherches sur le sextage dans le contexte canadien. Par exemple, la recherche américaine suggère que certains groupes, tels que les jeunes afro-américains, sont plus susceptibles d’envoyer des sextos [xxii], mais nous ne savons pas encore dans quelle mesure cela est vrai, le cas échéant, pour les groupes similaires au Canada. (L’étude Jeunes Canadiens ne comportait aucune question sur l’ethnicité ou le statut d’autochtone des élèves.) Certaines recherches suggèrent que les jeunes à haut risque devraient être ciblés dans le cadre d’un programme sur le « sextage sécuritaire ». « Une telle approche devrait a) encourager les jeunes, individuellement, à résister à la pression des pairs et à prendre des décisions délibérées sur les relations sexuelles (si, quand, comment et avec qui) ou le sextage (consensuel et responsable) et b) établir un environnement plus sécuritaire en prenant des mesures anti-intimidation plus efficaces à l’école et dans la collectivité, et en évitant les punitions et la stigmatisation pour l’exploration sexuelle consensuelle adaptée à leur âge [xxiii]. » Certains chercheurs estiment que « le sextage pourrait être une plateforme d’apprentissage cruciale sur les relations, la sexualité, les droits, les responsabilités, l’éthique et la justice[xxiv] » et qu’il s’agit donc d’une occasion d’utiliser le phénomène et de le façonner de manière à ce que les élèves comprennent ce à quoi ils participent.
Fournir un meilleur soutien aux jeunes dont les sextos ont été partagés sans leur consentement. Il est important que les adultes de confiance dans la vie des jeunes agissent de manière appropriée lorsqu’un jeune demande de l’aide. Les parents et les autres responsables des jeunes doivent exprimer leur soutien et proposer de résoudre le problème, en ne demandant l’aide d’autres personnes qu’après avoir consulté le jeune. Les enseignants sont généralement tenus de signaler un incident auprès de l’administration de l’école, surtout s’il a un lien avec l’école (p. ex. si la personne qui a partagé les photos est aussi un élève), mais ils peuvent aussi aider en évitant d’attirer davantage l’attention sur la personne touchée (p. ex. en organisant une leçon ou un rassemblement sur le sextage juste après l’incident). Les enseignants peuvent également aider en informant les élèves et les parents des recours juridiques possibles[xxv].
Le partage d’images intimes sans le consentement de la personne concernée est un crime au Canada, et au moins un jeune a été condamné pour distribution de pornographie juvénile, entre autres infractions, après avoir partagé des photos d’une autre adolescente[xxvi]. Plus important encore, le Code criminel donne aux juges le pouvoir d’ordonner le retrait « d’images intimes » de tout espace virtuel où elles ont été publiées sans le consentement de l’expéditeur initial[xxvii]. Dans certaines provinces, le droit civil peut également s’appliquer : en 2016, le Manitoba est devenu la première province canadienne à adopter une loi qui donne aux victimes le pouvoir d’intenter des poursuites pour obtenir une indemnisation financière pour le partage de sextos sans consentement[xxviii], alors que dans d’autres provinces, des délits comme l’appropriation de la ressemblance, l’abus de confiance et la publication de faits embarrassants ou privés ont été utilisés pour intenter des poursuites en dommages-intérêts et obtenir le retrait d’images[xxix]. En général, les tribunaux canadiens ont reconnu le préjudice considérable causé par le partage non consensuel de sextos et imposé des sanctions importantes[xxx].
Cependant, il existe un obstacle : les jeunes pourraient craindre d’être accusés de créer ou de distribuer de la pornographie juvénile s’ils demandent de l’aide pour gérer une situation dans laquelle un sexto a été rendu public par quelqu’un d’autre. Bien que la plupart des juristes qui ont écrit sur la question s’entendent pour dire que les jeunes ne seraient pas coupables de créer, de distribuer ou de posséder de la pornographie juvénile tant que leurs sextos ne sont pas partagés en dehors de la relation, certains soutiennent que le Parlement devrait aller plus loin et créer une exemption précise dans le Code criminel pour s’assurer qu’ils ne seront pas accusés[xxxi].
[i] Ringrose, J., Harvey, L., Gill, R. & Livingstone, S. (2013) Teen girls, sexual double standards and ‘sexting’: Gendered value in digital image exchange, Feminist Theory.
[ii] Evans, P & Jones, A (2017). The moral web: Youth Character, Ethics & Behaviour. Demos. Consulté sur le site https://www.basw.co.uk/system/files/resources/basw_62551-4_0.pdf
[iii] Suler, J (2004) The online disinhibition effect. Cyberpsychology & Behaviour. 7:3, pp. 321-326
[iv] Hasinoff, A. A. (2013). Sexting as media production: Rethinking social media and sexuality. New Media and Society, 15, 449–465. doi:10.1177/1461444812459171
[v] Naezer, M (2021). Only sluts love sexting: youth, sexual norms, and non-consensual sharing of digital sexual images. Journal of Gender Studies. 30:1, pp. 79-90
[vi] Setty, E (2019) A rights based approach to youth sexting: challenging, risk, shame, and the denial of rights to bodily and sexual expression within youth digital sexual culture. International Journal of Bullying Prevention. 1, pp. 298-311.
[vii] Ibid.
[viii] Slane, A (2010) From scanning to sexting: the scope of protection of dignity-based privacy in Canadian child pornography law. Osgoode Hall Law Journal 48: 543–593.
[ix] Haller, S (2019). Caught your teen sexting? Don’t ‘freak out’, experts say. Study found it can be healthy. USA Today. Consulté sur le site https://www.usatoday.com/story/life/allthemoms/2019/06/28/consensual-teen-sexting-could-healthy-university-of-texas-research-says/1585657001/ [traduction]
[x] Park, A (2014) Does Teen Sexting lead to Earlier Sex? The Times. Consulté sur le site https://time.com/3462553/does-teen-sexting-lead-to-earlier-sex/ [traduction]
[xi] Harris, A, et al. (2013) Building a Prevention Framework to Address Teen “Sexting” Behaviors. Office of Juvenile Justice and Delinquency Prevention. Consulté sur le site https://www.researchgate.net/publication/267748573_Building_a_Prevention_Framework_to_Address_Teen_Sexting_Behaviors
[xii] Walrave, M., Heirman, W., & Hallam, L. (2013). Under pressure to sext? Applying the theory of planned behaviour to adolescent sexting. Behaviour & Information Technology, 33(1), 86-98.
[xiii] Strassberg, D., McKinnon, R., Sustaíta, M., & Rullo, J.(2013) Sexting by High School Students: An Exploratory and Descriptive Study. Archives of Sexual Behavior. 42:1.
[xiv] Dobson, A. S., & Ringrose, J. (2015). Sext education: pedagogies of sex, gender and shame in the schoolyards of Tagged and Exposed. Sex Education, 16(1), 8–21.
[xv] Albury, K. (2017). Just because it’s public doesn’t mean it’s any of your business: adults’ and children’s sexual rights in digitally mediated spaces. New Media & Society, 19(5), 713–725.
[xvi] Harris et al 2010.
[xvii] Strohmaier, H, Murphy, M & DeMatteo, D. (2014). Youth Sexting: Prevalence Rates, Driving Motivations, and the Deterrent Effect of Legal Consequences. Sexuality Research and Social Policy 11:, pp. 245-55. Print.
[xviii] Rosin, H. (2014). “Why Kids Sext.” The Atlantic.
[xix] Englander, E. (2012). Low Risk Associated With Most Teenage Sexting: A Study of 617 18-Year-Olds. Massachusetts Aggression Reduction Center.
[xx] Ibid.
[xxi] Hasinoff, A. A. (2017). Sexting and privacy violations: a case study of sympathy and blame. International Journal of Cyber Criminology, 11(2), 202–217.
[xxii] Rice, E, et al. (2012). Sexually Explicit Cell Phone Messaging Associated With Sexual Risk Among Adolescents. Pediatrics; originally published online.
[xxiii] Döring, N. (2014). Consensual Sexting among Adolescents: Risk Prevention through Abstinence Education or Safer Sexting? Cyberpsychology: Journal of Psychosocial Research on Cyberspace 8, no. 1.
[xxiv] Albury, K., Crawford, K., Bryon, P., & Matthews, B. (2013). Young people and sexting in Australia: ethics, representation and the law, final report. Sydney: Australian Research Centre for Creative Industries and Innovation, University of New South Wales. [traduction]
[xxv] Quayle, E., & Cariola L. (2017) Youth-Produced Sexual Images: A Victim-Centred Consensus Approach. SPIRTO.
[xxvi] Meissner, D (2014). “Sexting B.C. teen found guilty of child pornography.” Canadian Press. Consulté sur le site https://bc.ctvnews.ca/sexting-b-c-teen-found-guilty-of-child-pornography-1.1633678
[xxvii] Dunn,S., & Petricone-Westwood A. (2018) More than “Revenge Porn”: Civil Remedies for the Non-consensual Distribution of Intimate Images, 2018 38th Annual Civil Litigation Conference 16, 2018 CanLIIDocs 10789, <https://canlii.ca/t/sqtc>, retrieved on 2021-03-01
[xxviii] (2016). Manitoba revenge porn law aims to empower victims. CBC News. Consulté sur le site https://www.cbc.ca/news/canada/manitoba/manitoba-revenge-porn-law-aims-to-empower-victims-1.3408847
[xxix] Dunn,S., & Petricone-Westwood A. (2018) More than “Revenge Porn”: Civil Remedies for the Non-consensual Distribution of Intimate Images, 2018 38th Annual Civil Litigation Conference 16, 2018 CanLIIDocs 10789, <https://canlii.ca/t/sqtc>, retrieved on 2021-03-01
[xxx] Dodge, A. (2019). Nudes are Forever: Judicial Interpretations of Digital Technology's Impact on" Revenge Porn". Canadian Journal of Law and Society, 34(1), 121-143.
[xxxi] Karaian, L., & Brady, D. (2018). Revisiting the" Private Use Exception" to Canada's Child Pornography Laws: Teenage Sexting, Sex-Positivity, Pleasure, and Control in the Digital Age. Osgoode Hall LJ, 56, 301.