La pandémie a-t-elle changé notre rapport aux médias?

Matthew Johnson

On dit que l’avenir se présente lorsqu’on s’y attend le moins. À l’occasion de la Semaine éducation médias, nous réfléchissons à la façon dont la pandémie a changé notre rapport aux médias et à autrui. Certes, il y a quelques années, peu d’entre nous aurions pu imaginer que nous passerions une bonne partie de notre vie à avoir des conversations vidéo, lesquelles étaient alors considérées comme obsolètes et principalement utilisées pour garder contact avec des amis et des membres de la famille éloignés.

Alors que nous parlons aujourd’hui de la « fatigue Zoom » (et pouvons même souffrir de « dysmorphie Zoom » à force de regarder des images aplaties de nous-mêmes pendant des heures), le besoin de nous éloigner les uns des autres a également montré l’importance des visages et des voix dans la communication. En d’autres termes, nous avons assisté à une démonstration spectaculaire de l’importance de l’empathie. L’expression faciale et le ton de la voix, ainsi que le langage corporel, sont les principaux éléments qui nous font ressentir de l’empathie pour les autres. Lorsque nous communiquons en ligne, nous ne pouvons ni les voir ni les entendre. Ainsi, nous sommes beaucoup plus susceptibles de mal nous comprendre ou de ne pas remarquer que nous avons blessé les sentiments de quelqu’un. Par conséquent, lorsque nous sommes en ligne, l’empathie doit devenir non seulement un réflexe, mais aussi une pratique consciente.

Si de nombreux adultes ont adopté le travail à distance pendant la pandémie, presque tous les élèves ont également passé au moins un certain temps à apprendre à partir de la maison. La situation a accéléré certaines tendances qui se dessinaient déjà et jeté un nouvel éclairage sur d’autres enjeux. L’école se faisant à distance, il n’était plus pertinent de se demander à quel moment donner à chaque enfant son propre appareil : chaque enfant avait besoin de son propre appareil uniquement pour aller à l’école, illustrant fort bien les nombreuses lacunes qui subsistent au chapitre de l’accès numérique dans tout le pays.

Ces nouveaux appareils ont également mis en lumière des problèmes de confidentialité. Certaines situations étaient graves, comme cet élève qui a été suspendu pour avoir joué avec un pistolet Nerf pendant un cours en ligne ou d’autres qui ont fait l’objet d’un suivi oculaire pendant des examens virtuels. Mais aussi inquiétants soient-ils, ce sont les problèmes plus subtils qui s’avéreront probablement plus importants, en particulier la surveillance des élèves. Comme c’est souvent le cas, l’impact se ressent généralement plus fortement chez les jeunes marginalisés. Par exemple, la surveillance des appareils ou des navigateurs peut contraindre les élèves de la communauté LGBTQ à s’autocensurer ou même les exposer à certains dangers, tandis que les élèves non blancs sont plus susceptibles de rencontrer des problèmes avec les logiciels de surveillance.

La pandémie a redéfini nos vies, mais elle a également modifié notre compréhension du « temps d’écran ». Alors que les élèves passaient leurs journées d’école devant des écrans, il est devenu évident que la compilation des heures et des minutes était un moyen bien peu efficace de lutter contre l’utilisation des écrans. Si les valeurs éducatives et sociales de l’école l’emportent sur les préjudices causés par le numérique, les autres utilisations de l’écran, qu’il s’agisse d’activités créatives ou de la socialisation numérique qui a servi de bouée de sauvetage à bon nombre d’élèves en quarantaine, le peuvent également. Nous nous orientons désormais vers une approche plus globale de l’utilisation des écrans, une approche qui met l’accent sur une utilisation consciente et l’orientation des jeunes vers des utilisations plus significatives et positives des écrans.

L’utilisation consciente des appareils numériques signifie également porter un regard critique sur le contenu que nous voyons et avec lequel nous interagissons en ligne, dont l’importance a été soulignée par la pandémie et « l’infodémie » qui l’accompagne. Aujourd’hui, la désinformation ne provient pas seulement des éditeurs, des gardiens et des normalisateurs comme les politiciens. Les réseaux de médias sociaux, les influenceurs et les utilisateurs ordinaires jouent un rôle important non seulement dans la diffusion de fausses informations, mais aussi dans leur création.

En plus d’illustrer les conséquences réelles de la désinformation, la pandémie a montré comment même un sujet comme la santé publique peut devenir politisé dans un environnement médiatique qui privilégie l’opinion au reportage et la partisanerie à l’esprit critique. S’il est plus que jamais essentiel d’apprendre à trouver et à reconnaître des informations fiables, nous devons aussi encourager l’humilité, c’est-à-dire la volonté d’envisager que nous puissions avoir tort et de nous demander pourquoi nous sommes susceptibles de croire un message particulier ou de nous en méfier.

Au bout du compte, c’est peut-être là le plus grand impact de la pandémie : elle nous rappelle que ce que nous faisons en tant que personnes fait une différence à la fois pour ceux qui nous entourent et la société dans son ensemble. Contrairement aux voix fortes d’un petit nombre de complotistes et de négationnistes de la COVID-19, et malgré la façon dont « l’illusion de la majorité » et la philosophie de l’homme qui mord le chien des médias d’information les font paraître plus nombreux qu’ils ne le sont en réalité, le Canada a toujours bénéficié d’un soutien majoritaire en faveur des mesures de santé publique. Cette pandémie pourrait nous faire prendre davantage conscience de nos obligations en tant que cybercitoyens, tant pour partager du contenu fiable que réagir aux fausses informations dangereuses lorsque nous en voyons.

Il ne peut pas y avoir de bons côtés à une épreuve aussi douloureuse et tragique que la pandémie de COVID-19. Mais les périodes difficiles peuvent nous aider à nous concentrer sur les choses qui sont les plus importantes pour nous. En nous projetant brusquement dans un avenir qui était déjà proche, la pandémie pourrait nous donner l’occasion de réexaminer notre relation avec les technologies qui sont devenues une partie essentielle de nos vies.

La Semaine éducation médias se tiendra du 25 au 30 octobre 2021. Visitez le site www.semaineeducationmedias.ca pour en savoir plus.