Comment la musique communique du sens

La musique est bien plus qu’un simple son : c’est un système complexe de communication qui mobilise nos émotions, notre esprit et notre corps. Elle raconte des histoires, crée des ambiances, reflète les cultures et influence même nos croyances[1]. La musique peut aussi avoir un impact significatif sur notre santé mentale[2]. Lorsqu’elle est écoutée sans intention particulière, nous avons tendance à choisir des morceaux qui amplifient notre humeur du moment, un phénomène appelé effet de congruence émotionnelle. Mais utilisée intentionnellement, la musique peut devenir un outil puissant pour gérer nos émotions[3].

Comprendre comment la musique communique suppose de s’intéresser à plusieurs couches : les paroles, le son lui-même, les visuels qui l’accompagnent (comme les vidéoclips), ainsi que le contexte culturel et historique plus large.

Le pouvoir des mots : les paroles comme récit et message

De manière explicite, la musique communique à travers les paroles. Celles-ci peuvent être considérées comme une histoire simplifiée, souvent racontée par des phrases courtes, rimées et répétées. Les auteurs-compositeurs, en écrivant des paroles, cherchent parfois à donner du sens à leurs expériences en construisant un récit[4]. Les mots servent alors de véhicule à l’histoire, soutenue par le rythme, et comportent souvent une accroche : une phrase accrocheuse qui résume l’impact émotionnel. Les paroles permettent aux artistes d’exprimer ce qui serait autrement inexprimable[5].

Le sens véhiculé par les paroles peut être direct et aborder une grande variété de sujets. Par exemple, les corridos, un genre musical mexicain, ont historiquement servi à transmettre des récits oraux et à raconter « tous les grands enjeux sociaux »[6]. Plus récemment, des artistes comme Vivir Quintana ont utilisé les corridos « pour changer les mentalités » à propos des femmes emprisonnées pour avoir tué leurs agresseurs[7].

Cependant, les auditeurs (surtout dans la musique populaire) ne se concentrent pas toujours sur les paroles. Ils « écoutent surtout le rythme et la mélodie, le son du morceau, et construisent leur propre interprétation[8] ». Ainsi, si les paroles peuvent fournir un sens clair, un récit ou des images poétiques, d’autres éléments jouent un rôle tout aussi essentiel dans la façon dont le sens est perçu et intériorisé.

Le langage de la musique : rythme, mélodie et harmonie

Au-delà des mots, les éléments musicaux eux-mêmes possèdent une puissance communicative considérable :

  • Le rythme, soit les motifs de battements qui sous-tendent la musique, peut indiquer la tonalité émotionnelle d’un morceau; par exemple, un rythme lent évoque souvent une profondeur émotionnelle.
  • La mélodie est la succession de notes qui forment l’air principal, souvent celui que l’on fredonne.
  • L’harmonie est la combinaison simultanée de notes pour créer des accords, et sa complexité varie, permettant de distinguer les styles musicaux.
  • Les riffs et les accroches, souvent des motifs mélodiques ou rythmiques, jouent un rôle particulièrement central dans la musique populaire commerciale pour capter l’attention de l’auditeur[9].

Lorsque ces éléments agissent en synergie, par exemple à travers le rythme, les accords et la mélodie, ils peuvent créer un « état de flux », dans lequel ceux-ci sont à la fois totalement concentrés et inconscients du temps qui passe[10]. À l’inverse, une dissonance peut survenir si l’ambiance créée par la musique (par exemple des accords majeurs) contraste avec le message des paroles (par ex. la violence)[11].

Certaines techniques musicales suscitent des réponses physiologiques et émotionnelles puissantes. Le frisson, souvent décrit comme la chair de poule, peut être déclenché par des musiques de genres variés. Une explication est qu’il survient lorsqu’une attente est brisée, par exemple par des surprises harmoniques, rythmiques ou mélodiques[12]. D’autres déclencheurs courants incluent l’arrivée soudaine d’instruments ou de voix, des changements abrupts de tempo ou de rythme, de nouvelles harmonies ou encore des modulations inattendues, en particulier des « progressions d’accords descendant le cercle des quintes vers la tonique »[13]. Ces choix musicaux touchent directement nos réponses émotionnelles et physiques. Même des sons en dessous de la gamme audible peuvent avoir un effet : des basses de très basse fréquence, inaudibles, peuvent inciter davantage de mouvements sur la piste de danse[14].

Visuels et autres modalités sensorielles : voir et ressentir la musique

Dans le paysage médiatique actuel, la musique est souvent consommée avec des éléments visuels, notamment à travers les vidéoclips. Ceux-ci combinent des informations textuelles (les paroles), auditives (les sons) et visuelles[15]. Lorsque les paroles et les images véhiculent le même message[16], le sens est renforcé; à l’inverse, un effet discordant se crée lorsqu’ils communiquent des messages différents ou opposés[17]. Par exemple, des paroles violentes peuvent être associées à un clip prônant la paix, ou des paroles d’autonomisation à des images sexualisées. La consonance ou la dissonance entre musique, paroles et visuels complexifie alors l’interprétation du message[18]. Cela est d’autant plus vrai lorsque les vidéos ne sont pas produites par les artistes eux-mêmes, mais par des créateurs de contenu en ligne, qui choisissent souvent la musique pour l’efficacité de son accroche ou d’un court extrait à intégrer à leurs vidéos[19].

Au-delà des vidéoclips, la musique est recontextualisée dans d’autres médias, comme le cinéma, la télévision ou les jeux vidéo. Dans les films d’horreur, par exemple, des chansons préexistantes et apparemment inoffensives peuvent devenir terrifiantes lorsqu’elles sont utilisées dans un contexte inattendu. Cette utilisation anempathique, où la musique ne correspond pas à l’action à l’écran, peut renforcer la sensation d’horreur « au plus près du quotidien » en détournant des sons familiers[20].

Genre, culture et identité

Les genres musicaux servent de cadre pour comprendre et interagir avec la musique. Ils ne sont pas figés : ils évoluent constamment, reflétant les attentes et les désirs du public à un moment donné[21]. Ils se définissent par ce que Carolyn R. Miller appelle une « action rhétorique typifiée »[22], des caractéristiques récurrentes qui répondent à des attentes, qu’il s’agisse d’éléments musicaux (comme une progression d’accords de blues) ou d’aspects esthétiques (mode, attitude)[23].

Historiquement, l’industrie du disque a souvent utilisé les genres pour segreguer et discriminer des groupes marginalisés, et cela reste en grande partie vrai aujourd’hui : par exemple, Old Town Road de Lil Nas X a été retiré du classement country de Billboard malgré ses éléments à la fois country et hip-hop[24].

La musique contribue également à créer des sous-cultures. Le hip-hop, par exemple, s’ancre dans une longue tradition communautaire d’échange et d’expérimentation, notamment à travers le sampling, qui consiste à utiliser des extraits d’enregistrements existants pour composer de nouveaux morceaux[25]. Le dip hop, un style développé par des artistes sourds, remet en question les conceptions dominantes de la musique en plaçant la langue des signes au centre, tout en intégrant des éléments visuels et haptiques pour enrichir l’expression musicale et l’immersion du public. Cela montre comment les sous-cultures peuvent redéfinir ce qu’est la musique, et la façon dont elle est vécue[26].


 

[1] Carbone, L., & Vandenbosch, L. (2024). A meta-analysis of studies examining the effect of music on beliefs. Communication Research, 51(1), 28-55.

[2] McCrary, J. M., Altenmüller, E., Kretschmer, C., & Scholz, D. S. (2022). Association of music interventions with health-related quality of life: a systematic review and meta-analysis. JAMA Network Open, 5(3), e223236-e223236.

[3] Kross, E. (2025) Shift: Managing Your Emotions – So They Don’t Manage You. Crown.

[4] Fivus, R. (2025) Songs and Stories Can Transform Lives. Psychology Today.

[5] Speranza, L., Pulcrano, S., Perrone-Capano, C., Di Porzio, U., & Volpicelli, F. (2022). Music affects functional brain connectivity and is effective in the treatment of neurological disorders. Reviews in the Neurosciences, 33(7), 789-801.

[6] Janetsky, M. (2025) Meet the Mexican soldier trying to revamp a musical genre accused of glorifying cartels. Associated Press.

[7] Janetsky, M., & Pesce F. (2025) A Mexican musician uses a contentious genre to sing of women imprisoned for killing their abusers. Associated Press.

[8] Shuker, R. (2013). Understanding popular music culture. Routledge.

[9] Shuker, R. (2013). Understanding popular music culture. Routledge.

[10] Tan, L., & Sin, H. X. (2021). Flow research in music contexts: A systematic literature review. Musicae scientiae, 25(4), 399-428.

[11] Kolchinsky A., Dhande N., Park K., Ahn Y. Y. (2017). The minor fall, the major lift: Inferring emotional valence of musical chords through lyrics. Royal Society Open Science, 4(11), 170952. https://doi.org/10.1098/rsos.170952

[12] Harrison, L., & Loui, P. (2014). Thrills, chills, frissons, and skin orgasms: toward an integrative model of transcendent psychophysiological experiences in music. Frontiers in psychology, 5, 790.

[13] Gilberg, S. (2023) This 715-song playlist is scientifically verified to give you the chills, thanks to “frisson”. Big Think.

[14] Otis, N. (2022) Low-frequency bass can’t be heard, but it can fire up the dance floor: study. CTV Network.

[15] Carbone, L., & Vandenbosch, L. (2024). A meta-analysis of studies examining the effect of music on beliefs. Communication Research, 51(1), 28-55.

[16] Fikkers K., Piotrowski J., Weeda W., Vossen H., Valkenburg P. (2013). Double dose: High family conflict enhances the effect of media violence exposure on adolescents’ aggression. Societies, 3(3), 280–292. https://doi.org/10.3390/soc3030280

[17] Powell T. E., Boomgaarden H. G., De Swert K., de Vreese C. H. (2019). Framing fast and slow: A dual processing account of multimodal framing effects. Media Psychology, 22(4), 572–600.

[18] Carbone, L., & Vandenbosch, L. (2024). A meta-analysis of studies examining the effect of music on beliefs. Communication Research, 51(1), 28-55.

[19] Seabrook, J. (2022) So you want to be a TikTok star. The New Yorker.

[20] Boon, H. (2022) How wholesome songs become horrifying through cinema. Little White Lies.

[21] Muchitsch, V. (2023). “Genrefluid” Spotify Playlists and Mediations of Genre and Identity in Music Streaming. IASPM Journal, 13(3), 48-65.

[22] Miller, C. R. (1984). Genre as social action. Quarterly journal of speech, 70(2), 151-167.

[23] Petrusich, A. (2021) Genre is disappearing. What comes next? The New Yorker.

[24] Petrusich, A. (2021) Genre is disappearing. What comes next? The New Yorker.

[25] Dent, M. (2023) Why nobody got paid for one of the most sampled sounds in hip hop. The Hustle.

[26] Best, K. (2023) Deaf rappers who lay down rhymes in sign languages are changing what it means for music to be heard. The Conversation.