Partage de sextos

Il existe peu de preuves que l’envoi de sextos est en soi un acte risqué : par exemple, une étude menée en 2018 suggère que « les sextos peuvent être un moyen sain pour les jeunes d’explorer la sexualité et l’intimité lorsqu’ils sont consensuels[i] ».

Le danger survient en général lorsqu’il y a partage ou transmission des sextos. Si un sexto vu exclusivement par son destinataire d’origine risque peu de nuire, les dangers potentiels associés aux sextos vus par d’autres destinataires sont quant à eux évidents.

Les recherches de HabiloMédias ont déterminé qu’environ un tiers des jeunes sont responsables de presque tous les comportements de partage, lesquels incluent partager des sextos (qu’ils ont demandé, qu’ils n’aient pas demandés ou ceux partagés avec eux par quelqu’un qui n’est pas l’expéditeur orignal), les montrer en personne, les transférer à d’autres personnes, ou les publier dans des espaces publics comme des sites de « pornographie de vengeance ».[ii]

Signes qu’un sexto a été partagé

Alors que les jeunes dont les sextos ont été partagés sans leur consentement en entendent souvent parler, ou les voient, directement, la recherche a également révélé certains éléments qui suggèrent indirectement qu’un sexto a pu être rendu public, notamment :

  • des rumeurs ou des commérages sur l’expéditeur;
  • des messages insultants publiés au sujet de l’expéditeur;
  • d’autres personnes demandent à l’expéditeur de leur envoyer un sexto;
  • d’autres personnes se comportent différemment envers l’expéditeur (p. ex. en l’évitant);
  • des commentaires indirects comme des rires ou des blagues sur l’expéditeur[iii].

Pourquoi les enfants envoient des sextos

Pourquoi alors est-ce que près de la moitié (46 %) des jeunes qui reçoivent des sextos décident-ils de les partager, et pourquoi considèrent-ils qu’ils ne font rien de mal (dans bien des cas, leurs pairs qui ne partagent pas de sextos eux-mêmes choisissent tout de même de blâmer la victime de l’avoir envoyé en premier lieu)? Les recherches de HabiloMédias ont permis de cerner les principaux facteurs : les stéréotypes de genre, le désengagement moral, et les normes sociales malsaines.

Stéréotypes de genre

Les études sur les aspects sexospécifiques des sextos montrent systématiquement que si les garçons qui envoient des sextos sont peu critiqués, les filles qui le font sont perçues comme sexuellement immorales : les filles qui envoient des sextos sont plus facilement perçues comme sexuelles, tandis que les garçons qui partagent des sextos qui leur ont été envoyés gagnent le respect de leurs pairs[iv].

Cela pourrait expliquer pourquoi ceux qui partagent des sextos ne semblent pas considérer le partage comme un problème éthique : les filles qui envoient des sextos sont considérées comme si elles transgressaient les rôles sexués et, par conséquent, qu’elles abandonnaient le droit de s’attendre à ce que leur image ne soit ni partagée, ni transmise. Certains chercheurs estiment que les filles font face à des sanctions sociales en matière de sextage, qu’elles envoient des sextos ou non : les chercheurs sur le sextage de l’Université du Michigan Scott Campbell et Julia Lippman ont découvert que les garçons de la recherche décrivaient les filles qui envoyaient des sextos comme étant des « traînées » ou « manquant d’assurance », alors qu’ils caractérisaient les filles qui n’en envoyaient pas de « prudes » ou de « snobs ». Le sextage est donc une proposition perdante-perdante pour les filles. Leur comportement est évalué en termes durs et souvent sexistes, qu’elles envoient ou non des sextos [v].

Les stéréotypes de genre, qui peuvent découler de l’influence des médias ainsi que d’autres facteurs, peuvent amener les filles à croire qu’elles doivent produire du contenu sexuel en ligne pour être ce que la société juge sexuellement désirables. Ces images explicites publiées en ligne sur des plateformes de médias sociaux comme Instagram sont perçues « comme une forme d’exhibition de soi, qui, dans certains cas, peut être considérée comme une mesure de l’attractivité et une nouvelle forme de désirabilité féminine[vi] ». Les rôles de genre contribuent à ce que le partage de sextos soit considéré comme un geste positif, à la fois comme une sanction du comportement inapproprié des filles et comme une chose qui est récompensée par un statut chez les garçons (certaines études ont montré que les garçons gagnent un statut en partageant et en transférant les sextos qui leur ont été envoyés[vii] et peuvent également ressentir une pression pour partager les sextos qu’ils reçoivent ou encore être perçus comme n’étant pas masculins[viii]). Les recherches de HabiloMédias [4] indiquent que l’adoption d’attitudes traditionnelles quant au genre, comme croire que les hommes devraient s’intéresser davantage au sexe que les femmes ou que les femmes ne peuvent pas vraiment être heureuses sans conjoint, est étroitement liée à la probabilité que les jeunes aient partagé les sextos de quelqu’un : la moitié (53 %) de ceux qui croyaient fortement à des stéréotypes de genre traditionnels avaient partagé un sexto, comparativement à un peu plus d’un sixième (18 %) qui avaient des croyances neutres et à seulement 1 sur 10 (9 %) de ceux qui n’avaient pas ces croyances. Comme il fallait sans doute s’y attendre, cet effet était plus puissant chez les garçons et les jeunes hommes de l’étude, mais il était également important chez les filles et les jeunes femmes.[ix]

Désengagement moral

Le désengagement moral est un terme utilisé pour décrire la façon dont nous nous convainquons de faire quelque chose que nous savons inapproprié ou de ne pas faire quelque chose que nous savons être juste.

La recherche de HabiloMédias a examiné l’impact de quatre mécanismes de désengagement moral.

  • Trouver une façon de considérer le partage comme étant positif : « Lorsque les sextos d’une fille sont partagés, cela montre les risques aux autres filles. »
  • Nier le tort que le partage peut causer : « Le partage de sextos est si fréquent que personne ne s’en soucie. »
  • Rejeter la responsabilité sur les autres : « Si je partage un sexto avec une seule personne et que cette personne le partage avec d’autres, ce n’est pas vraiment de ma faute. »
  • Blâmer la victime : « Une fille ne devrait pas être surprise que son sexto soit partagé après une rupture. »[x]

Le blâme de la victime, en particulier, est fortement lié à la publication de sextos dans des forums publics : presque toutes les photos publiées sur un site Web de « pornographie de vengeance », par exemple, étaient accompagnées de commentaires de l’auteur justifiant ses actes comme représailles pour un préjudice perçu comme ayant été causé par la victime ou encore un défaut de caractère[xi].

La moitié (53 %) des jeunes qui se sont classés dans le tiers supérieur de l’échelle du désengagement moral avait partagé un sexto, un sixième (17 %) de ceux classés dans le tiers central l’avaient fait, et 1 sur 10 (11 %) de ceux dans le tiers inférieur l’avaient fait. L’effet était le même chez les garçons et les jeunes hommes que chez les filles et les jeunes femmes.[xii]

Normes sociales, pression des pairs et réciprocité

Dans le cadre de l’étude de HabiloMédias, les participants ont été invités à indiquer dans quelle mesure ils pensaient que l’envoi et le partage de sextos étaient courants parmi leurs pairs, et à préciser combien de leurs amis proches avaient fait l’un ou l’autre. Même si cette croyance avait un certain lien avec leur propre comportement de partage, un lien beaucoup plus fort a été associé avec le fait de penser que leurs amis s’attendraient à ce qu’ils partagent les sextos qu’ils ont reçus et, encore plus fortement, s’ils s’attendraient à ce que leurs amis partagent des sextos avec eux[xiii], ce qui confirme l’idée que les jeunes échangent des sextos, soit en échange d’autres sextos, soit pour obtenir un statut, ou les deux[xiv]. Les normes sociales peuvent également interagir avec les stéréotypes de genre puisque les jeunes font souvent état de pressions exercées par les pairs, du même sexe ou du sexe opposé, pour qu’ils partagent les sextos qu’ils ont reçus[xv].

 

[i] Madigan, S., Ly, A., Rash, C. L., Van Ouytsel, J., & Temple, J. R. (2018). Prevalence of multiple forms of sexting behavior among youth: A systematic review and meta-analysis. 327JAMA pediatrics, 172(4), -335. [traduction]

[ii] Johnson, M., Mishna, F., Okumu, M., Daciuk, J. Partage non consensuel d’images intimes : les comportements et les attitudes des jeunes Canadiens, Ottawa : HabiloMédias, 2018. <https://habilomedias.ca/sites/mediasmarts/files/publication-report/full/partage-de-sextos.pdf>

[iii] Quayle, E., & Cariola L. (2017) Youth-Produced Sexual Images: A Victim-Centred Consensus Approach. SPIRTO.

[iv] Naezer, M (2021). Only sluts love sexting: youth, sexual norms, and non-consensual sharing of digital sexual images. Journal of Gender Studies. 30:1, pp. 79-90

[v] Lippman, J. R., & Campbell, S. W. (2014). Damned if you do, damned if you don't… if you're a girl: Relational and normative contexts of adolescent sexting in the United States. Journal of Children and Media, 8(4), 371-386.

[vi] Speno, A & Aubrey, J (2018) Adolescent sexting: the roles of self-objectification and internalization of media ideals. Psychology of women quarterly. 8:63, pp. 1-11. [traduction]

[vii] Ringrose, J., Harvey, L., Gill, R. and Livingstone, S. (2013) Teen girls, sexual double standards and ‘sexting’: Gendered value in digital image exchange, Feminist Theory 2013.

[viii] DeKeseredy, W. S., Schwartz, M. D., Harris, B., Woodlock, D., Nolan, J., & Hall-Sanchez, A. (2019). Technology-facilitated stalking and unwanted sexual messages/images in a college campus community: The role of negative peer support. Sage open, 9(1), 2158244019828231.

[ix] Johnson, M., Mishna, F., Okumu, M., Daciuk, J. Partage non consensuel d’images intimes : les comportements et les attitudes des jeunes Canadiens, Ottawa : HabiloMédias, 2018. <https://habilomedias.ca/sites/mediasmarts/files/publication-report/full/partage-de-sextos.pdf>.

[x] Johnson, M., Mishna, F., Okumu, M., Daciuk, J. Partage non consensuel d’images intimes : les comportements et les attitudes des jeunes Canadiens, Ottawa : HabiloMédias, 2018. <https://habilomedias.ca/sites/mediasmarts/files/publication-report/full/partage-de-sextos.pdf>

[xi] Hall, M., & Hearn, J. (2019). Revenge pornography and manhood acts: A discourse analysis of perpetrators’ accounts. Journal of Gender Studies, 28(2), 158-170.

[xii] Johnson, M., Mishna, F., Okumu, M., Daciuk, J. Partage non consensuel d’images intimes : les comportements et les attitudes des jeunes Canadiens, Ottawa : HabiloMédias, 2018. <https://habilomedias.ca/sites/mediasmarts/files/publication-report/full/partage-de-sextos.pdf>

[xiii] Johnson, M., Mishna, F., Okumu, M., Daciuk, J. Partage non consensuel d’images intimes : les comportements et les attitudes des jeunes Canadiens, Ottawa : HabiloMédias, 2018. <https://habilomedias.ca/sites/mediasmarts/files/publication-report/full/partage-de-sextos.pdf>

[xiv] Ringrose, J., Harvey, L., Gill, R. and Livingstone, S. (2013) Teen girls, sexual double standards and ‘sexting’: Gendered value in digital image exchange, Feminist Theory 2013.

[xv] DeKeseredy, W. S., Schwartz, M. D., Harris, B., Woodlock, D., Nolan, J., & Hall-Sanchez, A. (2019). Technology-facilitated stalking and unwanted sexual messages/images in a college campus community: The role of negative peer support. Sage open, 9(1), 2158244019828231.