Importance de l'éducation aux médias

L’éducation aux médias peut aider les jeunes à mettre en perspective l’image qui leur est donnée des communautés autochtones en leur faisant à comprendre le fonctionnement des médias, les raisons de l’existence des stéréotypes, les pouvoirs décisionnels et l’importance de savoir qui décide du contenu d’une émission ou d’un journal.

Les stéréotypes et la sous-représentation des peuples autochtones dans les médias ne datent pas d’hier, mais les peuples autochtones se sont opposés à ces représentations dès le début. En 1913, Chauncey Yellow Robe, un acteur Lakota, a critiqué la façon dont les Autochtones étaient représentés dans les films muets et les spectacles du Far West (rodéos mis en scène qui étaient les précurseurs des films westerns), affirmant qu’ils montraient les Autochtones comme « l’être le plus abject de l’humanité, exposé dans tous les cinémas du pays[1] ».

Ces fausses représentations persistant encore aujourd’hui, il est nécessaire de les critiquer et de les remettre en question. Comme le dit le journaliste anishinaabe Jesse Wente, « si la libération de l’esprit, du corps et de la terre est la fin ultime, elle commence dans l’esprit et la culture, là où l’emprise du colonialisme peut être la plus insidieuse[2] ».

Voici quelques exemples du genre d’interrogations qui peuvent entraîner une meilleure compréhension du portrait que le cinéma et la télévision dressent des autochtones.

Qui a créé ou choisi de diffuser telle image ou telle histoire? Pourquoi est-ce important de le savoir?

La première chose à enseigner dans l’éducation aux médias, c’est que l’objectivité n’existe pas : derrière tout produit médiatique, il y a un objectif ou un point de vue. La « réalité » dépeinte dans les productions cinématographiques ou télévisées est le résultat d’une succession de choix, basés sur l’expérience, les connaissances et les préjugés de leurs créateurs. Plus importantes que tout choix conscient sont les questions que les créateurs de médias ne posent pas, les choses qu’ils croient déjà savoir. Lorsque les Autochtones ne participent pas à la réalisation d’émissions, de films, de reportages ou d’autres médias les mettant en scène, c’est évident.

Il est aussi important de comprendre que les médias peuvent avoir des significations très différentes selon leur auteur, et que les groupes marginalisés peuvent se « réapproprier » des représentations stéréotypées à leurs propres fins. Par exemple, les Na’vi, extraterrestres du film Avatar, étaient largement perçus comme un exemple du stéréotype du « sauvage noble ». Les militants autochtones les ont utilisés pour attirer l’attention lors de manifestations contre l’abattage de forêts anciennes[3].

Quelles voix peuvent se faire entendre? Quelles autres sont ignorées? Pourquoi?

Qui est interviewé dans une émission d’affaires publiques? Quels « experts » sont choisis pour faire des clips sonores sur un sujet? Quelles perspectives sont complètement ignorées? Lorsque des voix autochtones sont entendues, le sont-elles uniquement sur des questions autochtones ou le sont-elles également sur des questions touchant la société dans son ensemble? Si des personnages ou des cultures autochtones sont représentés dans un texte médiatique, les créateurs de ce texte ont-ils fait des efforts importants pour consulter ces communautés, comme l’a fait Disney pour les films Frozen II et Moana?

La question qui consiste à déterminer quelles voix sont entendues n’est pas seulement importante dans les médias de masse. Alors que la technologie numérique permet plus facilement que jamais aux gens de créer et de partager leurs propres médias, les communautés autochtones n’ont souvent pas accès aux outils ou à la bande passante nécessaires[4], et les jeunes autochtones reçoivent moins de soutien pour l’apprentissage des compétences numériques[5]. Même lorsqu’ils y ont accès, si les plateformes virtuelles sur lesquelles ils partagent leur travail (dont les propriétaires et les employés sont en grande majorité blancs[6]) n’offrent pas suffisamment de modération et d’outils pour lutter contre les discours haineux, ils risquent de se taire face au harcèlement en ligne[7].

Pourquoi certains événements apparaissent-ils dans les nouvelles et d’autres non?

Un événement comme la création d’un nouveau territoire (le Nunavut, par exemple) ou la signature d’une entente territoriale essentielle est parfois moins couvert par les médias qu’une barricade élevée momentanément par des autochtones. Du point de vue de la télévision, l’attrait visuel des barricades et leur potentiel de violence ont 10 fois plus d’impact que des hommes et des femmes en train de négocier autour d’une table. Même chose pour tous les reportages sensationnalistes qui traitent de meurtres, de prostitution ou de toxicomanie : ils font monter les cotes d’écoute et, du même coup, les revenus publicitaires. Par ailleurs, les bulletins de nouvelles doivent passer rapidement d’un événement à un autre. Les stéréotypes, par définition connus de tout le monde, sont des raccourcis qui permettent de gagner du temps. Comprendre le fonctionnement des émissions d’information n’en changera pas le contenu, mais aidera les jeunes à réaliser que la nouvelle la plus médiatisée n’est pas forcément la plus importante. La comparaison entre la couverture des nouvelles par APTN (le Réseau de télévision des peuples autochtones) et celle mise en avant par les grandes chaînes de télévision est de ce point de vue édifiant et met en relief l’importance des décisions prises en coulisses. De même, les documentaires présentés dans la série Keep Calm and Decolonize de la CBC mettent en valeur la diversité des voix autochtones.

Au cinéma et à la télévision, les autochtones apparaissent-ils comme des êtres humains normaux ou comme des caricatures unidimensionnelles?

Pendant des générations, les producteurs de la télévision et du cinéma, particulièrement hollywoodien, se sont servis des autochtones pour raconter l’histoire des Blancs en Amérique. Par conséquent, ils leur ont rarement accordé une personnalité complexe ou un rôle autonome. Leurs « Indiens » n’agissent presque jamais individuellement en fonction de leurs propres jugements et valeurs. Malgré certains efforts pour briser la tradition, les vieux stéréotypes sont difficiles à éliminer.

Émissions télévisées et films respectent-ils les différences tribales, culturelles et religieuses?

Toute personne qui connaît un peu les différentes cultures autochtones détectera régulièrement dans les films et émissions télévisées des erreurs flagrantes et souvent comiques : des tipis là où seules étaient connues les maisons longues, des chevaux dans les contrées où l’on se déplaçait normalement à pied et en canot, des coiffures de plumes sur la côte du Pacifique, etc. Les producteurs se soucient rarement des différences d’habillement, de langage, d’habitat ou de croyances qui existent parmi les nombreuses tribus des Premières Nations. Par ignorance, par simple paresse ou encore dans le but de créer un décor facilement reconnaissable et doté d’un plus grand impact visuel, ils préfèrent amalgamer des stéréotypes qui « parlent » au public.

Les autochtones s’expriment-ils d’une manière normale à la télévision et au cinéma?

Les vieux westerns trouvaient pratique de faire s’exprimer les autochtones dans un anglais cassé qui ne pouvait traduire que de façon très primaire leurs pensées et leurs émotions en raison de leur connaissance imparfaite de la langue (et, souvent sous-entendu, la pauvreté de leur intellect). Une tendance à la simplification qui, jusqu’à un certain point, règne encore de nos jours. Les films historiques devraient au moins montrer des autochtones maîtrisant parfaitement leur propre langue. Il existe plus de 350 langues autochtones en Amérique du Nord, une réalité totalement occultée par l’industrie du cinéma.

Les autochtones américains n’auraient-ils existé que de 1830 à 1880 dans les grandes plaines de l’Ouest?

À quelques exceptions près, Hollywood semble en être persuadé. En fait, les Premières Nations existaient déjà des milliers d’années avant l’arrivée des Européens, et leur population actuelle s’élève à plus d’un million au Canada et à presque deux millions aux États-Unis, aussi bien dans les réserves que dans les grands centres urbains et les régions rurales. Où et quand cette réalité apparaît-elle dans les grands médias ?

Les créateurs et les producteurs de médias sont-ils de bons alliés?

La Trousse d’outils pour les allié.e.s aux luttes autochtones recommande aux industries médiatiques et aux créateurs individuels d’être des alliés positifs pour les artistes et les communautés autochtones :

  • en embauchant des Autochtones pour qu’ils participent à des histoires réalisées pour eux ou sur eux;
  • en rémunérant les Autochtones pour leurs connaissances et leur temps, et en leur en accordant le crédit;
  • en donnant la parole aux Autochtones pour s’assurer que leur voix est entendue;
  • en reconnaissant que les Autochtones ont des droits sur leur art, leur expérience et leurs histoires[8].

L’émission Letterkenny de l’APTN/CBC est un bon exemple de créateurs de médias non autochtones qui ont donné la parole à des acteurs autochtones. Les producteurs ont encouragé les acteurs autochtones à choisir leurs propres costumes et à réécrire leurs répliques pour les rendre plus authentiques, y compris en prononçant certains dialogues en kanien’kehá:ka (mohawk). La contribution des acteurs n’intervient pas seulement après l’écriture des scénarios : les producteurs consultent tous les interprètes de l’émission, y compris les acteurs autochtones, entre l’ébauche et le scénario, pour leur donner l’occasion de formuler des commentaires sur les éléments culturels et artistiques. Par conséquent, des dizaines de petits détails tirés de la vie et de la culture autochtones, comme des pièces de costumes réalisées par des designers autochtones ou des personnages utilisant leurs lèvres pour pointer, sont portés à l’écran. Kaniehtiio Horn, un acteur mohawk jouant le personnage de Tanis, précise : « Je fais un peu la différence dans la façon dont les gens peuvent nous voir ou nous percevoir, et les gens ne se rendent même pas compte qu’ils reçoivent tous ces messages dans cette comédie canadienne loufoque[9]. »

L’éducation aux médias consiste également à donner aux jeunes les moyens de s’opposer aux stéréotypes et aux autres représentations erronées dans les médias, comme l’a fait Elizabeth LaPensée lorsqu’elle a fait retirer d’Internet le jeu stéréotype et pornographique Custer’s Revenge[10], et d’utiliser des outils numériques pour faire une différence dans leurs communautés en ligne et hors ligne.

 

[1] King, T. (2017). The inconvenient Indian illustrated: A curious account of native people in North America. Doubleday Canada. [traduction]

[2] Wente, J.(2017) « As Canada marks 150 years, five filmmakers heed the call to 'Keep Calm and Decolonize.' » CBC. Consulté sur le site https://www.cbc.ca/arts/as-canada-marks-150-years-five-filmmakers-heed-the-call-to-keep-calm-and-decolonize-1.4419156 [traduction]

[3] De Grave, I. (2012) « Avatar Stereotype of Indigenous Peoples: Bane or Blessing? » Inter Press Service. Consulté sur le site http://www.ips.org/blog/ips/avatar-stereotype-of-indigenous-peoples-bane-or-blessing/#comments

[4] McMahon, R. (2014). From digital divides to the first mile: Indigenous peoples and the network society in Canada. International Journal of Communication, 8, 2002–2026. http://firstmile.ca/wp-content/ uploads/2014-McMahon-From-Digital-Divides-to-the-First-Mile- Indigenous-Peoples-and-the-Network-Society-in-Canada.pdf[5] Huynh, A., & Malli, N. (2020) Plugging in: Empowering communities to ensure digital literacy access for youth. Brookfield Institute. Consulté sur le site https://brookfieldinstitute.ca/wp-content/uploads/Plugging-In-Report-2.pdf

[6] Dirksen, A. (2020) « Decolonizing Digital Spaces. » Published in Citizenship in a Connected Canada: A Research and Policy Agenda, Dubois and Martin-Barieteau, eds. Consulté sur le site https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3620179

[7] Kassam, A. (2017, July 27). First Nations leader urges Canada to prosecute “out of hand” hate speech. The Guardian. https://www. theguardian.com/world/2017/jul/27/canada-first-nations-hate-speech- bobby-cameron

[8] Swiftwolfe, D. (2019) Indigenous Ally Toolkit. Montreal Urban Aboriginal Community Strategy Network. Consulté sur le site https://reseaumtlnetwork.com/wp-content/uploads/2019/04/Ally_March.pdf

[9] Boutsalis, K. (2020) « How Letterkenny Got Indigenous Representation So Right. » Flare. Consulté sur le site https://www.flare.com/tv-movies/letterkenny-indigenous-representation/ [traduction]

[10] CBC News. (2017) « Indigenous game designer challenges stereotypes. » Unreserved, CBC News. Consulté sur le site https://www.cbc.ca/radio/unreserved/unreserved-honours-the-strength-of-indigenous-women-1.3472826/indigenous-game-designer-challenges-stereotypes-1.3476519