Pratiques exemplaires

Le recensement des pratiques exemplaires d’éducation aux médias fondées sur des données probantes présente plusieurs difficultés : premièrement, parce que la plupart des évaluations comparent les interventions en éducation aux médias soit à un groupe de contrôle, soit à une autre intervention non fondée sur l’éducation aux médias, et deuxièmement, parce que, comme mentionné précédemment, il y a souvent un décalage entre ce qu’un programme enseigne et les résultats qu’il mesure.

Par conséquent, « les données empiriques des pratiques pédagogiques exemplaires, par opposition au témoignage personnel ou au rapport introspectif, sont rares[1] » : en d’autres termes, si nous pouvons dire de manière générale que l’éducation aux médias est efficace, il est difficile de dire précisément quels éléments des programmes d’éducation aux médias sont plus efficaces que d’autres.

Cela étant dit, il existe un consensus sur les pratiques exemplaires en matière d’éducation aux médias.

  1. Privilégier la participation pratique à l’apprentissage par cœur. Les interventions dont le sujet est directement pertinent pour les élèves[2], dont le résultat est axé sur la citoyenneté engagée[3] et qui incluent la création de médias[4] sont considérées comme plus efficaces. De la même façon, la manière la plus efficace de promouvoir la pensée critique est en amenant les « enseignants à créer un environnement favorable dans lequel de petits groupes d’élèves et de pairs construisent et critiquent activement des arguments sur des problèmes propres à leur discipline. Dans les classes où les enseignants se concentrent explicitement sur les arguments et les justifications d’idées particulières dans leur discipline (c’est-à-dire qu’ils ne mettent pas seulement l’accent sur le "pourquoi" et le "comment"), les élèves sont plus susceptibles de s’engager dans une cognition épistémique efficace[5]. »
  2. Proposer aux élèves des tâches et des expériences authentiques. Les médias constituent une partie importante du monde des élèves, et les technologies réseautées leur permettent de se connecter au monde à l’extérieur de la salle de classe. Pour cette raison, il peut être plus efficace de se concentrer sur les médiasphères des élèves plutôt que sur des œuvres médiatiques spécifiques : l’enseignant peut utiliser des œuvres particulières comme modèles, ou les assigner à l’analyse, mais les élèves travailleront de manière plus engagée avec des œuvres médiatiques issues de leurs propres médiasphères[6]. Au minimum, les enseignants doivent inclure l’expérience des élèves et s’assurer que les sujets et les exemples sont pertinents pour ces derniers.
    • Les tâches et les expériences authentiques mettent « l’accent sur l’engagement des élèves avec les médias d’une manière interactive et dynamique, l’autonomisation par la production, l’interaction et le dialogue[7] », et doivent reconnaître les éléments cognitifs et affectifs des médias[8].
    • Montrer aux élèves comment utiliser des outils numériques familiers pour faire une différence dans leurs communautés « peut augmenter de manière significative la quantité et l’égalité de l’engagement politique en ligne des jeunes. De nombreuses compétences dont les jeunes ont besoin pour participer à la vie politique en ligne s’harmonisent étroitement avec les compétences que les jeunes utilisent souvent lorsqu’ils sont engagés dans les médias sociaux de manière plus générale[9]. »
    • Donner aux jeunes l’occasion de créer des médias, notamment en les aidant à mieux comprendre le fonctionnement des industries médiatiques, leur permet de comprendre par l’expérience comment ces industries affectent leurs propres expériences médiatiques[10].
    • En donnant aux élèves la possibilité de partager et de publier leur travail, et de participer aux communautés de manière significative, nous engageons les jeunes dans le travail d’éducation aux médias numériques et leur donnons l’occasion de pratiquer l’action civique[11]. « Cette orientation permet à l’éducation aux médias d’aller au-delà de la critique distanciée, l’interprétation sans application et l’accent mis sur les outils et les technologies au détriment des processus et des applications qui les définissent[12]. »
    • Une tâche authentique signifie une tâche où les élèves ont la possibilité de faire entendre leur voix de manière significative : « Les jeunes répondent bien au fait de mener le dialogue au sein de l’intervention, et l’adoption d’une approche fondée sur le dialogue plutôt qu’une approche didactique est souvent plus efficace[13]. »
  3. Aider les enseignants à comprendre pourquoi la littératie aux médias numériques est importante et leur fournir une formation sur la manière de l’enseigner. Nous ne pouvons pas simplement attendre des enseignants qu’ils enseignent l’éducation aux médias : ils doivent recevoir une formation et un soutien à cet effet[14],[15],[16],[17] et nous devons les aider à comprendre l’importance de l’éducation aux médias[18]. La recherche a fréquemment soulevé le manque de formation et de soutien comme l’un des principaux obstacles à l’enseignement de l’éducation aux médias, même chez les enseignants enthousiastes à ce sujet[19],[20], et limite également leur capacité à pousser les élèves à une réflexion plus sophistiquées ou à évaluer le travail d’éducation aux médias numériques[21].
    • Il en va de même pour l’utilisation de la technologie numérique par les enseignants en classe, même si les compétences technologiques des enseignants sont généralement comparables ou plus avancées que celles de leurs élèves[22].
    • Puisque chaque enseignant doit enseigner la littératie aux médias numériques, mais que tous n’ont pas le temps ou les ressources nécessaires pour devenir des experts, il peut être efficace de former certains enseignants pour qu’ils deviennent des « mentors de l’éducation aux médias », partageant des ressources et des pratiques exemplaires[23]. Comme pour les enseignants et les élèves, ce mentorat peut être réciproque, les enseignants plus expérimentés partageant leurs connaissances professionnelles et les plus jeunes leur familiarité avec les médias et la technologie[24].
    • De plus, compte tenu de l’évolution constante des médias et des technologies, le perfectionnement professionnel doit être continu[25] et il peut aussi aider les enseignants à désapprendre certains points de vue sur l’éducation aux médias : un « penchant pour l’approche protectionniste peut être associé à un manque de connaissances sur la complexité de la relation entre les textes médiatiques et les publics, et sur la complexité des représentations médiatiques[26] ».
  4. Dispenser une éducation aux médias par le biais de multiples canaux et parties prenantes. Dans Media Literacy: Empowering Youth Worldwide, Paul Mihailidis affirme que « les programmes qui réussissent pénètrent les systèmes éducatifs en collaborant avec les écoles, les enseignants et les administrateurs par le biais de clubs, de visites de classe et de programmes communs[27] ». D’autres chercheurs ont constaté que l’éducation aux médias « semble être plus efficace lorsqu’il s’agit d’un effort de collaboration entre un ou plusieurs enseignants et le bibliothécaire de l’école. Cette collaboration peut prendre différentes formes : les enseignants accompagnent les élèves à la bibliothèque pendant une période de cours ou un bibliothécaire vient dans la classe ou rencontre les élèves dans un laboratoire informatique pendant une période afin de leur montrer des stratégies de recherche[28]. » L’éducation aux médias doit également établir des liens avec le monde extérieur à la salle de classe : « la mise en œuvre réussie de l’éducation aux médias à l’échelle de l’école est facilitée par des approches pédagogiques qui combinent ou franchissent les frontières entre les espaces et les rôles, la salle de classe et le "troisième espace" élargi[29]. »
  5. Commencer l’éducation aux médias tôt et la poursuivre. Des recherches récentes ont montré que l’éducation aux médias peut être efficace auprès d’enfants dès l’âge de cinq ans[30]. Les jeunes commencent généralement à utiliser les médias et les appareils réseautés bien avant d’entrer à l’école. Il est donc essentiel qu’ils commencent à apprendre la littératie aux médias numériques le plus tôt possible[31]. L’approche fondée sur les concepts clés permet aux enseignants de dispenser une éducation aux médias aux élèves d’une manière adaptée à leur développement cognitif et émotionnel, et les recherches sur la pensée critique ont montré que les jeunes sont souvent capables d’accomplir des tâches beaucoup plus évoluées que ne le pensent leurs enseignants, grâce à un soutien pédagogique approprié[32].
  6. Prévoir beaucoup de temps pour l’exploration, la pratique et la réflexion. Les élèves ont besoin de plus d’une occasion d’apprendre et de pratiquer chaque compétence d’éducation aux médias numériques : « une pratique continue et variée peut aider les élèves à intégrer les compétences et les stratégies ainsi que ces modes de pensée dans leurs habitudes et appliquer ces approches dans différents cadres et contextes[33] ». Puisque les aspects pratiques et créatifs de la littératie aux médias numériques sont souvent plus naturels pour les élèves, il peut être nécessaire de prévoir des étapes qui les obligent à ralentir et à faire le travail critique tout en réalisant des projets pratiques[34]. Le temps consacré à la réflexion sur ses pensées et ses expériences, que ce soit sous la forme de journaux, de comptes rendus, de révision ou de réexamen d’un sujet[35], permet également de rendre l’apprentissage des élèves plus visible, ce qui a été relevé comme une stratégie clé pour développer la loyauté critique des élèves[36].
  7. Adopter une approche holistique et exhaustive de la littératie aux médias numériques. Bien qu’il soit important de ne pas essayer d’en faire trop dans une seule leçon ou activité, et que les compétences en matière d’esprit critique ne se transfèrent pas toujours d’un domaine à l’autre, les élèves devraient recevoir une éducation sur tous les aspects des médias numériques au cours de leur parcours scolaire. Dans leur étude sur l’éducation aux médias en Australie, Notley et ses collaborateurs ont constaté que « les programmes d’éducation aux médias axés trop étroitement sur l’actualité et les médias d’information risquent d’être moins efficaces. Compte tenu de la valeur que les gens accordent aux médias de divertissement et du rôle que beaucoup pensent qu’ils jouent dans leur vie, l’éducation aux médias doit s’harmoniser avec l’utilisation que les gens font des médias de divertissement. Parallèlement, les niveaux élevés de préoccupation concernant la désinformation, la vie privée, la confidentialité numérique et la sécurité démontrent que les gens doivent en savoir suffisamment sur les infrastructures médiatiques et les modèles commerciaux qui les sous-tendent pour pouvoir s’engager de manière critique avec les médias[37]. » De même, s’il peut être judicieux de se concentrer uniquement sur l’enseignement aux élèves de la manière d’utiliser un outil médiatique qu’ils ne connaissent pas, si les élèves sont déjà confiants, il devrait toujours y avoir un élément supplémentaire comportant une analyse ou un engagement.

 


 

[1] McDougall, J., Zezulkova, M., Van Driel, B., et Sternadel, D. (2018). Teaching media literacy in Europe: evidence of effective school practices in primary and secondary education. Rapport NESET II. [traduction]

[2] Hodgin, E., et Kahne, J. (2018). Misinformation in the information age: What teachers can do to support students. Social Education, 82(4), 208-212.

[3] Mihailidis, P. (2009). Media literacy: Empowering youth worldwide. Center for International Media Assistance.

[4] McDougall, J., Zezulkova, M., Van Driel, B., et Sternadel, D. (2018). Teaching media literacy in Europe: evidence of effective school practices in primary and secondary education. Rapport NESET II.

[5] Greene, J.A., et Yu, S.B. (2016). Educating critical thinkers: The role of epistemic cognition. Policy Insights from the Behavioral and Brain Sciences, 3(1), 45-53. [traduction]

[6] Vasquez, V.M., Janks, H., et Comber, B. (2019). Critical literacy as a way of being and doing. Language Arts, 96(5), 300-311.

[7] Mihailidis, P. (2009). Media literacy: Empowering youth worldwide. Center for International Media Assistance. [traduction]

[8] Garcia, A.G., McGrew, S., Mirra, N., Tynes, B., et Kahne, J. (2021). Rethinking Digital Citizenship: Learning About Media, Literacy, and Race in Turbulent Times. Carol D. Lee, Gregory White, and Dian Dong, Editors, 319.

[9] Hodgin, E., et Kahne, J. (2018). Misinformation in the information age: What teachers can do to support students. Social Education, 82(4), 208-212. [traduction]

[10] McDougall, J., Zezulkova, M., Van Driel, B., et Sternadel, D. (2018). Teaching media literacy in Europe: evidence of effective school practices in primary and secondary education. Rapport NESET II.

[11] Middaugh, E. (2019). More than just facts: promoting civic media literacy in the era of outrage. Peabody Journal of Education, 94(1), 17-31.

[12] Mihailidis, P. (2018) A novel civic idea: Building the capacity of youth to critique and create media in digital culture. Civic Idea. [traduction]

[13] Reynolds, L., et Scott, R. (2016). Digital Citizens: countering extremism online. [traduction]

[14] McDougall, J., Zezulkova, M., Van Driel, B., et Sternadel, D. (2018). Teaching media literacy in Europe: evidence of effective school practices in primary and secondary education. Rapport NESET II.

[15] Mihailidis, P. (2009). Media literacy: Empowering youth worldwide. Center for International Media Assistance.

[16] National Literacy Trust. (2018). Fake news and critical literacy: The final report of the Commission on Fake News and the Teaching of Critical Literacy in Schools.

[17] Simons, M., Meeus, W., et T'Sas, J. (2017). Measuring Media Literacy for Media Education: Development of a Questionnaire for Teachers' Competencies. Journal of Media Literacy Education, 9(1), 99-115.

[18] Simons, M., Meeus, W., et T'Sas, J. (2017). Measuring Media Literacy for Media Education: Development of a Questionnaire for Teachers' Competencies. Journal of Media Literacy Education, 9(1), 99-115.

[19] Manfra, M., et Holmes, C. (2020). Integrating media literacy in social studies teacher education. Contemporary Issues in Technology and Teacher Education, 20(1), 121-141.

[20] Sabado, K.X. (2018). Exploring Teachers' Perspective of Digital Literacy Pedagogy: Implications for Future Practice.

[21] Schilder, E., Lockee, B., et Saxon, D.P. (2016). The Challenges of Assessing Media Literacy Education. Journal of Media Literacy Education, 8(1), 32-48.

[22] Wang, S.K., Hsu, H.Y., Campbell, T., Coster, D.C., et Longhurst, M. (2014). An investigation of middle school science teachers and students use of technology inside and outside of classrooms: Considering whether digital natives are more technology savvy than their teachers. Educational Technology Research and Development, 62(6), 637-662.

[23] Maqsood, S., et Chiasson, S. (mai 2021). “They think it’s totally fine to talk to somebody on the internet they don’t know”: Teachers’ perceptions and mitigation strategies of tweens’ online risks. Dans Proceedings of the 2021 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems (p. 1-17).

[24] Johnson, M., Riel, R., et Froese-Germain, B. L’apprentissage connecté : Le personnel enseignant et les technologies en réseau dans la classe. Ottawa : HabiloMédias et Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, 2016.

[25] Maqsood, S., et Chiasson, S. (mai 2021). “They think it’s totally fine to talk to somebody on the internet they don’t know”: Teachers’ perceptions and mitigation strategies of tweens’ online risks. Dans Proceedings of the 2021 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems (p. 1-17).

[26] Friesem, E. (2018). Too Much of a Good Thing? How Teachers' Enthusiasm May Lead to Protectionism in Exploring Media & Gender. Journal of Media Literacy Education, 10(1), 134-147. [traduction]

[27] Mihailidis, P. (2009). Media literacy: Empowering youth worldwide. Center for International Media Assistance. [traduction]

[28] Costello, D., et Lawrence, K. (2015). Five surprises about college student information literacy. Strategic Library, 11(1). [traduction]

[29] McDougall, J., Zezulkova, M., Van Driel, B., et Sternadel, D. (2018). Teaching media literacy in Europe: evidence of effective school practices in primary and secondary education. Rapport NESET II. [traduction]

[30] Stanley, S.L., et Lawson, C.A. (2018). Developing discerning consumers: an intervention to increase skepticism toward advertisements in 4-to 5-year-olds in the US. Journal of Children and Media, 12(2), 211-225.

[31] Media Literacy Advisory Committee (2019). Rapport du Media Literacy Advisory Committee.

[32] Greene, J.A., et Yu, S.B. (2016). Educating critical thinkers: The role of epistemic cognition. Policy Insights from the Behavioral and Brain Sciences, 3(1), 45-53.

[33] Hodgin, E., et Kahne, J. (2018). Misinformation in the information age: What teachers can do to support students. Social Education, 82(4), 208-212. [traduction]

[34] Castellini da Silva, R.C. (2021). Media literacy and ICT in education treading together: exploring how new digital technologies can help promote media literacy in secondary students (thèse de doctorat, Université de la ville de Dublin).

[35] Epitropoulos, A. (2017). « Five ways to develop critical thinking skills ». ASCD In-Service. https://www.ascd.org/blogs/5-ways-to-develop-critical-thinking-skills

[36] Hodgin, E., et Kahne, J. (2018). Misinformation in the information age: What teachers can do to support students. Social Education, 82(4), 208-212.

[37] Notley, T., Chambers, S., Park, S., et Dezuanni, M. (2021). Adult Media Literacy in Australia: Attitudes, Experiences and Needs. [traduction]