Définir la littératie aux médias numériques

La littératie aux médias numériques désigne la capacité d’accéder, d’utiliser, de comprendre et de mobiliser les médias de toutes les sortes de manière critique, efficace et responsable.

La définition de la littératie aux médias numériques de HabiloMédias se fonde sur le principe selon lequel la littératie aux médias numériques ne remplace pas l’éducation aux médias ou n’y est pas parallèle : elle s’appuie plutôt sur elle, tout en intégrant de nouveaux concepts qui découlent de la différence entre les médias traditionnels et numériques, en particulier leur nature réseautée. Parallèlement, bon nombre de questions numériques ne peuvent pas être comprises sans les concepts clés de l’éducation aux médias traditionnels.

Les médias sont des phénomènes puissants dans la vie des jeunes. La musique, la télévision, les jeux vidéo, les réseaux sociaux, les vidéos en ligne et les autres médias ont tous une grande influence sur la façon dont nous voyons le monde, une influence qui commence souvent dès la petite enfance. Pour être des utilisateurs et des consommateurs de médias engagés et critiques, les jeunes doivent acquérir les compétences et les habitudes de la littératie aux médias numériques. Ces compétences consistent à être capable d’accéder aux médias et de naviguer sur les réseaux numériques, d’analyser et d’évaluer les médias de manière critique sur la base de certains concepts clés, d’utiliser les outils numériques et médiatiques pour créer des médias et dans le contexte de l’école, du travail et des intérêts personnels, et de mobiliser les médias pour s’exprimer et participer aux communautés en ligne et hors ligne. Le modèle d’éducation aux médias numériques de HabiloMédias est composé de trois parties : les concepts clés, les compétences de base et les sujets cadres. Bref, les concepts clés désignent ce que les élèves doivent comprendre de la littératie aux médias numériques, les compétences de base représentent ce qu’ils doivent être capables de faire, et les sujets cadres désignent ce qu’ils doivent savoir.

Tous les concepts clés, compétences de base et sujets cadres peuvent être enseignés aux élèves, quels que soient leur âge et leur niveau scolaire. Ce processus d’apprentissage des compétences en éducation aux médias numériques s’appelle l’éducation aux médias. L’importance de l’éducation aux médias au Canada peut être observée par l’inclusion d’objectifs en matière d’éducation aux médias dans les programmes d’éducation provinciaux et territoriaux. Cependant, il n’est pas toujours facile de définir exactement ce que sont l’éducation aux médias et la littératie aux médias numériques, ni de déterminer la meilleure façon de les intégrer en classe.

Qu’est-ce que l’éducation aux médias? Le domaine de l’éducation aux médias, qui s’est élargi pour inclure la littératie numérique et qui a été divisé en sous-domaines comme l’éducation à l’information et l’éducation à la publicité, est parfois décrit comme étant trop vaste pour n’avoir qu’une définition unique[1], mais cette amplitude est essentielle. La littératie aux médias numériques ne se limite pas à la vérification des informations, à la déconstruction des stéréotypes, au respect de la « nétiquette » ou à la protection de la vie privée en ligne. Ces différents aspects sont tout aussi importants les uns que les autres, mais ils sont aussi liés, parfois de manière surprenante : par exemple, la promotion des stéréotypes de genre auprès des jeunes enfants et la collecte de données par les réseaux sociaux sont toutes deux motivées par le désir des spécialistes du marketing de cibler plus précisément le contenu et les publicités, et ont elles-mêmes un impact sur des phénomènes allant de la cyberintimidation à la désinformation. Une personne compétente en matière de médias est donc une personne qui possède les compétences, les connaissances et la capacité critique qui sont traditionnellement incluses dans la définition de l’« éducation aux médias » et de la « littératie numérique », ainsi qu’une compréhension des liens qui existent entre elles.

Nous pourrions également faire valoir que l’utilisation du mot « littératie » est inexacte puisque la plupart des médias relèvent davantage du langage parlé que du langage écrit. S’il existe des codes et des conventions qui communiquent le sens des médias, ils peuvent être appris par une simple exposition plutôt que d’avoir à les décoder avant de les comprendre. C’est précisément parce que nous pouvons comprendre les médias sans qu’ils nous soient enseignés que nous sommes moins susceptibles de penser qu’ils ont des auteurs et qu’ils sont le fruit d’une série de décisions créatives. Par conséquent, il peut s’agir d’une « révélation », comme si nous décodions des lettres et des mots pour la première fois.

De plus, le terme est utile pour nous faire réfléchir au-delà des compétences techniques et pratiques afin de considérer la pleine signification du terme « littératie » : « Lorsque nous décrivons quelqu’un comme étant une personne "alphabétisée", nous ne voulons pas simplement qu’elle sache lire ou écrire. La notion de littératie sous-entend généralement une approche plus réfléchie. La littératie, dans ce sens plus large, suppose l’analyse, l’évaluation et la réflexion critique[2]. » L’idée de la littératie aux médias numériques devient plus utile lorsque nous la considérons non pas comme un simple ensemble de compétences, mais comme une pratique : si elle repose sur une base de compétences et de connaissances, l’objectif ultime de la littératie aux médias numériques est de donner aux jeunes les moyens « d’accéder aux structures culturelles, économiques et politiques d’une société[3] » et de les inciter à s’interroger sur les médias qu’ils utilisent et consomment, à les remettre en question et (lorsqu’ils le souhaitent) à s’y opposer.

De même, la littératie aux médias numériques n’est pas unidimensionnelle : il est possible de posséder des compétences médiatiques à certains égards, mais pas à d’autres, et même les professionnels des médias ont souvent une compréhension limitée des questions de représentation des médias ou même des réalités commerciales de leurs propres industries. Aussi, l’enthousiasme des jeunes pour les médias numériques cache un problème potentiel. Bien qu’ils n’aient pas besoin d’être amadoués pour adopter des technologies Internet et que leurs compétences s’améliorent rapidement par rapport à celles de leurs aînés, ils demeurent, sans encadrement, des utilisateurs amateurs des technologies numériques. Afin d’être compétents dans les environnements riches en médias d’aujourd’hui, les jeunes doivent acquérir des connaissances, des valeurs et toute une gamme de compétences en matière de pensée critique, de communication et de gestion de l’information pour l’ère numérique. Alors qu’un nombre croissant d’entreprises, de services et même de processus démocratiques migrent en ligne, les citoyens qui ne possèdent pas de compétences en médias numériques risquent d’être désavantagés lorsque viendra le temps d’accéder aux soins de santé, aux services publics et aux possibilités d’emploi, d’éducation et de participation civique[4].

La littératie aux médias numériques n’est pas non plus réservée à la langue anglaise ou aux parties du programme scolaire qui traitent traditionnellement de la technologie ou de la « maîtrise de l’information » : elle est sans conteste « un élément clé de l’apprentissage de l’histoire et de la manière d’étudier l’histoire, de l’apprentissage des sciences et de la manière d’étudier les sciences, au même titre que l’apprentissage des technologies de l’information et des communications et des compétences nécessaires pour les utiliser. En effet, la maîtrise des médias numériques est un ensemble important de compétences de vie qui complète et élargit les compétences et les connaissances déjà enseignées à l’école[5]. »

Au bout du compte, la plus importante considération dans l’élaboration d’une définition de la littératie aux médias numériques dans un contexte pédagogique est de savoir si elle est utile : utile aux enseignants pour élaborer, adapter et mettre en œuvre des activités et des ressources, et utile aux élèves en tant que médium pour poser des regards critiques sur le monde en ligne. L’éducation aux médias traditionnels n’est pas d’un grand secours pour analyser des questions comme la cyberintimidation et la protection de la vie privée en ligne, mais en même temps, ces questions et d’autres semblables requièrent une optique de l’éducation aux médias qui va au-delà des simples instructions techniques (et rapidement obsolètes). En outre, il est de plus en plus évident que des questions comme la vérification et le partage de fausses informations dépendent de compétences associées à la fois à la littératie numérique et à l’éducation aux médias traditionnels[6]. Pour rester actuelle et pertinente, l’éducation aux médias doit à la fois actualiser les principes fondamentaux de l’éducation aux médias afin de refléter le caractère unique des médias numériques et appliquer la pratique de l’éducation aux médias à la littératie numérique : « S’il est important d’apprendre à utiliser et à manipuler les technologies numériques, la portée de la littératie aux médias numériques est limitée si nous ne comprenons pas le rôle que jouent les humains en remettant en question et donc en façonnant ce système techno-social[7]. »

 


[1] Cunliffe-Jones, P., Gaye, S., Gichunge, W., Onumah, C., Pretorius, C., et Schiffrin, A. (2021). The State of Media Literacy in Sub-Saharan Africa 2020 and a Theory of Misinformation Literacy. Misinformation Policy In Sub‑Saharan Africa: From Laws and Regulations to Media Literacy.

[2] Buckingham, D. (2007). Digital Media Literacies: rethinking media education in the age of the Internet. Research in comparative and international education, 2(1), 43-55. [traduction]

[3] Belshaw, D.A. (2012). What is 'digital literacy'?: a pragmatic investigation (thèse de doctorat, Université de Durham). [traduction]

[4] Hobbs, Renee (2012). « Hobbs: Info literacy must be a community education movement » : Consulté à l’adresse : http://www.knightcomm.org/hobbs-info-literacy-must-be-a-community-education-movement/.

[5] Hague, C., et Williamson, B. (2009). Digital Participation, Digital Literacy, and School Subjects: A Review of the Policies, Literature and Evidence. Bristol : Futurelab. [traduction]

[6] Sirlin, N., Epstein, Z., Arechar, A.A., et Rand, D. (2021). Digital literacy and susceptibility to misinformation. Cette étude a révélé que si la littératie numérique était associée à une meilleure capacité de reconnaître les faux contenus en ligne, seule la connaissance du fonctionnement de l’industrie de l’information était associée à une probabilité moindre de les partager.

[7] Pangrazio, L. (2016). Reconceptualising critical digital literacy. Discourse: Studies in the cultural politics of education, 37(2), 163-174. [traduction]