Définir la citoyenneté numérique

Si les concepts clés sont ce que les élèves doivent comprendre, que les compétences de base désignent ce qu’ils doivent être capables de faire, et que les sujets désignent ce qu’ils doivent savoir, la cybercitoyenneté peut alors être imaginée comme le résultat idéal de l’éducation aux médias. La cybercitoyenneté est donc réalisée lorsque les gens ont développé la capacité d’accéder aux médias, de les utiliser, de les comprendre et de les mobiliser, y compris les communautés en ligne, d’appliquer une réflexion critique aux médias et aux outils réseautés, et de posséder les connaissances nécessaires pour faire toutes ces actions de manière éthique et efficace.

Jusqu’à récemment, la plupart des efforts en matière de cybercitoyenneté visaient principalement à apprendre aux jeunes à se protéger en ligne. Mais ce n’est qu’un début : les médias numériques offrent aux jeunes des occasions uniques de s’engager, de s’exprimer et d’apporter des changements en ligne et hors ligne. Bien que les jeunes Canadiens croient que les espaces en ligne devraient être exempts de racisme, de sexisme et de harcèlement[1], ils sont souvent réticents à s’exprimer contre les préjugés et l’intimidation en ligne[2]. Aider les jeunes à comprendre leurs droits, en tant que consommateurs, membres d’une communauté, citoyens et êtres humains, est essentiel pour leur permettre de faire face à la cyberintimidation, aux discours haineux et au harcèlement en ligne. Cependant, pour répondre à la haine et au harcèlement en ligne, les jeunes doivent non seulement acquérir des compétences numériques particulières, mais aussi être habilités à s’exprimer et à exercer pleinement leurs droits en tant que cybercitoyens.

En élaborant nos définitions de la littératie numérique et de la cybercitoyenneté, il est donc important de se rappeler que la citoyenneté entraîne des responsabilités, mais aussi des droits.

La cybercitoyenneté numérique peut inclure l’utilisation des médias numériques pour s’engager dans des questions relatives à la communauté locale ou à la politique de l’État, et peut être aussi large que les frais de scolarité[3] ou aussi étroite que la qualité des repas scolaires[4] : les recherches de HabiloMédias ont révélé que 35 % des jeunes Canadiens avaient rejoint ou soutenu un groupe de militants en ligne au moins une fois[5]. Si nous pouvons donner aux jeunes les moyens d’influencer leur culture en ligne pour que le respect soit la norme, nous pouvons donner aux témoins les moyens d’agir, et peut-être rendre les formes d’intervention plus directes plus sûres (même s’il y aura toujours des situations où les interventions indirectes sont une meilleure idée, comme lorsqu’une intervention directe pourrait les mettre, ou mettre d’autres personnes, en danger). Les jeunes doivent également savoir que le fait de s’exprimer peut faire une différence : des recherches ont démontré qu’une croyance inébranlable adoptée par seulement 10 % des membres d’un groupe se répandra dans la majorité du groupe[6]. En fait, même des groupes plus petits peuvent influencer les valeurs de leur culture : d’autres études ont montré que les membres d’un groupe soins beaucoup moins susceptibles de se conformer aux attitudes du groupe si même une seule personne exprime une opinion différente[7].

La cybercitoyenneté peut également viser spécifiquement l’influence des communautés en ligne, comme les campagnes visant à améliorer le climat des médias sociaux[8]. En raison de la nature collective de presque tous les environnements réseautés fréquentés par les jeunes (toutes les plateformes en ligne les plus populaires auprès des jeunes Canadiens appartiennent à des sociétés à but lucratif)[9], il est également important d’inclure le militantisme des consommateurs dans notre définition de la cybercitoyenneté, ce qui comprend une reconnaissance de la nature collective de la plupart des « communautés » et des « espaces publics » en ligne, ainsi qu’une compréhension des droits que les jeunes possèdent en tant que consommateurs et de la façon de les exercer, notamment en utilisant les mécanismes de plainte et de signalement des plateformes et en organisant des campagnes de pression publique (comme les efforts déployés pour que Facebook soit plus réceptif aux plaintes concernant le matériel haineux)[10]. Cependant, pour que les jeunes puissent exercer leurs droits en tant que consommateurs, ils doivent comprendre les considérations commerciales des médias qu’ils utilisent, en particulier ceux qui utilisent leurs données et leurs renseignements personnels comme source de revenus.

Cette approche représente le lien essentiel entre enseigner aux jeunes ce qu’ils peuvent faire pour influencer les valeurs de leurs communautés en ligne et hors ligne et leur donner les moyens de le faire réellement. Les jeunes Canadiens doivent savoir qu’ils ne renoncent pas à leurs droits lorsqu’ils sont en ligne et qu’en fait, ils peuvent avoir des droits qu’ils ne connaissent même pas. Par exemple, la Charte canadienne des droits et libertés et la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant[11] confèrent toutes deux aux jeunes des droits essentiels à la vie privée, à la libre expression, à l’éducation et à l’accès à l’information, ainsi qu’à l’absence de discrimination, de peur, de violence et de harcèlement. Si les jeunes ne sont pas conscients de ces droits, ils pourraient choisir de ne pas interagir pleinement avec les médias numériques, ce qui peut créer des possibilités limitées et, ironiquement, entraîner des niveaux inférieurs de confiance, de résilience et de sécurité[12].

 


[1] Steeves, V. (2014). Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : Le racisme et le sexisme en ligne (rep.). Ottawa : HabiloMédias.

[2] Craig et autres (2014). Les expériences de la cyberintimidation des jeunes Canadiens. Ottawa : HabiloMédias.

[3] Sifry, M.L. (29 novembre 2010). Children's Crusade: A Primer on How Britain's Students Are Organising Using Social Media. TechPresident : http://techpresident.com/blog-entry/childrens-crusade-primer-how-britains-students-are-organising-using-social-media.

[4] Toppo, G. (2 décembre 2013). Kids Upload and Unload on School Cafeteria Lunches. USA Today. Consulté à l’adresse : http://www.usatoday.com/story/news/nation/2013/12/02/school-lunch-photos/3784625.

[5] Steeves, V. (2014). Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La vie en ligne (rep.). Ottawa : HabiloMédias.

[6] Xie, J., Sreenivasan, S., Korniss, G., Zhang, W., Lim, C., et Szymanski, B.K. (2011). Social consensus through the influence of committed minorities. Physical Review E Phys. Rev. E, 84(1). doi:10.1103/physreve.84.011130.

[7] Dean, J. (25 février 2010). Conformity: Ten Timeless Influencers [journal en ligne]. Consulté à l’adresse : https://www.spring.org.uk/2021/09/conformity-influence.php.

[8] Boldt, M. (9 septembre 2012). Osseo High-Schooler Battles Taunts with Tweets. Consulté à l’adresse : https://www.twincities.com/2012/09/28/osseo-high-schooler-battles-taunts-with-tweets/.

[9] Brisson-Boivin et autres (2022). Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase IV (rep.). Ottawa : HabiloMédias.

[10] Chemaly, S. (21 mai 2013). An Open Letter to Facebook. The Huffington Post.

[11] Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Comité des droits de l’enfant : Observation générale no 25 (2021) sur les droits de l’enfant en relation avec l’environnement numérique. Disponible en français à l’adresse https://docstore.ohchr.org/.

[12] Third, A. (2014). Children’s Rights in the Digital Age: A Download from Children Around the World (rep.). Melbourne : Young and Well Cooperative Research Centre.