Développement des radios et télévisions autochtones

Les médias autochtones existent depuis longtemps au Canada. Alors que les premiers journaux destinés aux Autochtones étaient publiés par des colons, il existe des journaux dirigés par des Autochtones depuis que le chef, médecin et éditeur ojibwé a lancé The Indian à Hagersville, en Ontario, en 1885. Cette tradition s’est poursuivie grâce à la parution de journaux comme le Wawatay News, basés dans le nord de l’Ontario, et le Windspeaker à Edmonton[1].

L’arrivée des médias électroniques de masse représentait un nouveau défi. Quand les émissions d’information et de divertissement des grands médias du Sud ont commencé à déferler au Nord, les communautés autochtones ont très vite compris qu’il était nécessaire, pour assurer leur survie culturelle, de développer une radio et une télévision dont ils seraient les propriétaires et dirigeants.

Depuis le milieu des années 1950, la radio faisait déjà partie intégrante de leur vie grâce à des radios communautaires et au Northern Service de la Canadian Broadcasting Corporation sur ondes courtes. Au début des années 1970, 16 % des programmes du Northern Service étaient en langue inuktitute et, grâce à l’appui financier et technique de Radio-Canada et du gouvernement fédéral, la radio était en voie de devenir, partout dans le Nord, le moyen principal de communication qu’il s’agisse de politique, de nouvelles locales, de messages personnels ou de bingos.

En 1973, l’arrivée des transmissions par satellite des programmes télévisés du sud du Canada et des États-Unis a catalysé le besoin d’une télévision faite par et pour les Autochtones. Si des émissions comme La soirée du hockey étaient appréciées des Inuits, d’autres éveillaient en eux une profonde perplexité. Les leaders communautaires ont rapidement considéré que les émissions venues du Sud menaçaient leur langue autant que leurs traditions culturelles. Ces sons et images qui envahissaient chaque foyer ne reflétaient en rien la réalité et les valeurs autochtones. Une jeune femme en particulier, Rosemary Kuptana, devenue plus tard présidente de l’Inuit Broadcasting Federation, assimilait l’impact de la télévision du Sud à celui d’une bombe atomique, « le type de bombe qui tue les gens en laissant les bâtiments intacts ».[2]

Entre 1976 et 1981, d’importantes subventions du gouvernement et le lancement des nouveaux satellites Hermès et Anik B permettent à diverses organisations autochtones, de l’Alberta au Québec, d’expérimenter des émissions de télévision interactive et de se lancer dans la production d’émissions originales. Les émissions pilotes remportent un tel succès que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) accorde en 1981 à Inuit Tapirisat of Canada le droit de fonder une corporation de radiodiffusion inuite, autorisée à diffuser des émissions en langue inuktitute dans les Territoires du Nord-Ouest, le Nord québécois et le Labrador.[3]

La même année, le CRTC autorise deux Premières Nations à établir un réseau de radio par satellite diffusant des émissions en diverses langues autochtones destinées aux communautés du Yukon et de la partie la plus occidentale des Territoires du Nord-Ouest. En même temps, Radio-Canada double le pourcentage de ses émissions en langue autochtone.

Au début des années 1980, tous les éléments sont en place au pays pour qu’un réseau de communications détenu et dirigé par des Autochtones puisse être créé, soit des organismes autochtones militants, 13 sociétés de communications locales (Inuits, Premières Nations et Métis), l’appui du CRTC et de nouvelles politiques de financement gouvernementales.

En 1983, le gouvernement canadien affecte 40 millions de dollars à la création d’un réseau autochtone de radio et de télévision dans les régions nordiques du Canada. Et il adopte la même année une politique de radiotélédiffusion dans le Nord, qui définit les règles d’un « accès juste » des Premières Nations aux systèmes de télécommunications du Nord pour le développement des langues et cultures indigènes. En pratique, cela signifie pour la majorité des régions l’accès au réseau de distribution de Radio-Canada. La loi se révèle cependant difficile à appliquer et déçoit les attentes des communautés autochtones.

En 1988, après des années de campagne de groupes de pression autochtones, le gouvernement alloue 10 millions de dollars à l’installation d’un répéteur de satellite réservé aux communautés autochtones. Television Northern Canada (TVNC) couvre cinq fuseaux horaires - Yukon, Territoires du Nord-Ouest, Nunavut, Nord québécois et Labrador -, soit un tiers du Canada. En 1991, le droit des Premières Nations au contrôle de leurs propres communications est enchâssé dans la Loi sur la radiodiffusion et, en 1995, le CRTC accorde à TVNC l’autorisation de diffuser également ses programmes dans le sud du pays.

Devant le succès de TVNC, une campagne fiévreuse voit le jour pour l’établissement d’un réseau télévisé national autochtone. Elle reçoit un appui surprenant dans l’ensemble de la population canadienne : selon un sondage Angus Reid, les deux tiers des Canadiens se déclarent en sa faveur et 68 % d’entre eux se disent prêts à une augmentation de 15 cents de leur facture mensuelle de câble pour aider à sa création.[4]

Le Réseau de télévision des peuples autochtones, Aboriginal Peoples Television Network (APTN), devient réalité en 1999. Positionné dans le service de base des câblodistributeurs, il devient immédiatement disponible dans huit millions de foyers au nord comme au sud du Canada, par câble ou par l’entremise d’un satellite de radiodiffusion directe (SRD). 

The Globe and Mail salue cette avancée spectaculaire dans un de ses éditoriaux.

« Le simple fait d’être vus à la télévision donne aux gens une réalité que rien d’autre, ou presque, ne peut offrir dans la société du vingtième siècle. Il s’agit du fondement psychologique de la décision récente du CRTC d’autoriser la création d’une chaîne de télévision autochtone. Non seulement le Réseau de télévision des peuples autochtones permettra aux diverses communautés nordiques d’apprendre à mieux se connaître en anglais, en français ou dans 15 de leurs langues locales, mais il deviendra également un environnement virtuel où les Canadiens du Sud et du Nord pourront se rencontrer et échanger d’une façon qu’ils n’auraient peut-être pas expérimentée autrement. »[5]

APTN a ouvert bien des portes et donné à plusieurs artistes, écrivains, acteurs ou producteurs autochtones les habiletés et les moyens pour apporter aux peuples autochtones leurs propres images et messages, que ce soit sous forme de documentaires, de fictions, d’émissions pour enfants, de programmes éducatifs, de bulletins de nouvelles, d’émissions d’actualité ou même de leçons de cuisine. Le Réseau a permis aux communautés autochtones de s’attaquer aux stéréotypes étouffants qui dominent leur image dans les productions télévisées du Sud et de présenter à leurs jeunes de nouveaux modèles par l’entremise du média qui leur plaît le plus.

Le Réseau de télévision des peuples autochtones représente cependant un pas de géant, et son développement est imité davantage chaque année par les autres services de radiodiffusion autochtones et les radios communautaires. On notera également le développement sans précédent de Isuma.tv, un site Internet international inuit destiné à la mise en valeur de la production audiovisuelle des Autochtones provenant de partout dans le monde. Aujourd’hui, de nombreuses communautés tentent de développer leur propre radio communautaire, et des réseaux nationaux radiophoniques ont vu le jour comme Aboriginal Voices Radio, un réseau de radio autochtone canadien. On peut également citer le NCI (Native Communications Inc.) qui opère au Manitoba, l’Aboriginal Radio qui se veut un forum d’échanges sur les questions autochtones des trois Amériques, ou CIHW FM, la radio communautaire des Hurons-Wendats de Wendake. La radio autochtone continue de se développer, alors que de nouvelles stations sont lancées à Toronto, à Ottawa, à Calgary, à Vancouver et à Edmonton en 2017[6]. On trouvera une mise à jour de la plupart des radios autochtones sur le site www.turtleisland.org/news/news-radio.htm.

Médias permettant de relier les différentes communautés d’une même nation, les radios communautaires jouent le rôle de lien social, en plus des grandes radios nationales autochtones comme peut l’être la SOCAM, la société de communication atikamekw-Montagnaise. Et c’est justement ce qui a intéressé le jeune Atikamekw Patrick Boivin dans le court-métrage Territoire des ondes, lequel a remporté quelques prix au Canada. Dans ce documentaire, Patrick Boivin fait le lien entre le tambour, outil traditionnel de communication, et la radio.

La distribution du film de Patrick Boivin par le biais de plateformes numériques comme YouTube met en lumière le plus récent développement des médias autochtones. Bien qu’elle soit limitée par le manque d’accès à Internet haute vitesse dans les communautés autochtones et éloignées, la possibilité de produire et de distribuer des médias sur Internet a créé bon nombre de nouvelles possibilités pour les créateurs de médias autochtones. La taille relativement petite des fichiers audio a fait de la baladodiffusion une source médiatique populaire, alors que des émissions comme Red Man Laughing de l’humoriste Ryan McMahon attirent des dizaines de milliers d’auditeurs[7].

Pour en savoir plus sur les artistes et les médias autochtones, consultez la section Expression des Autochtones dans les arts et médias.

 


[1] Craig, S. (2017) « Indigenous media audiences are bigger than ever, but – like others in the industry – profits remain elusive. » Financial Post. Consulté sur le site https://financialpost.com/news/indigenous-media-audiences-are-bigger-than-ever-but-profits-remain-elusive

[2] Brisebois, D. (1983) « The Inuit Broadcasting Corporation. »” Anthropologica 25 (1): 105-15

[3] Brisebois, D. (1990) « Whiteout Warning. » Inuit Broadcasting Corporation. Consulté sur le site https://inuitbroadcasting.ca/whiteout-warning/

[4] Angus Reid Group. (1998) « Aboriginal Television Network Would Build Bridge of Understanding Between Aboriginal and Non-Aboriginal Canadians, Says Majority. » Angus Reid Institute. Consulté sur le sitehttps://www.ipsos.com/sites/default/files/publication/1998-02/pr060298.pdf

[5] Editorial. (1999) « The Native Media. » The Globe and Mail.

[6] CBC. (2017) « New radio stations to serve urban Indigenous communities in 5 cities: CRTC. » CBC News. Consulté sur le site https://www.cbc.ca/news/indigenous/five-new-urban-indigenous-radio-stations-crtc-1.4160784

[7] Craig, S. (2017) « Indigenous media audiences are bigger than ever, but – like others in the industry – profits remain elusive. » Financial Post. Consulté sur le site https://financialpost.com/news/indigenous-media-audiences-are-bigger-than-ever-but-profits-remain-elusive