lmage corporelle – Les garçons

Les questions en matière de médias et d’image corporelle tournent habituellement autour des filles, mais voilà que les chercheurs et les professionnels de la santé s’intéressent également aux garçons depuis un certain temps. La recherche en ce sens indique que, même si les garçons discutent rarement de leurs insécurités, ils ne sont pas à l’abri de l’anxiété liée à leur image corporelle [1]

Il est plus difficile d’évaluer leur taux d’insatisfaction vis-à-vis leur corps parce que, dans notre société, on s’attend à une certaine nonchalance de leur part à ce sujet. Toutefois, il ne fait aucun doute que les représentations médiatiques du modèle masculin idéalisé affectent les garçons. Puisque les médias sociaux ont fait des jeunes des créateurs de médias, ainsi que des consommateurs, encore plus actifs, les garçons sont maintenant davantage conscients de leur propre apparence. Comme l’a dit un des participants à l’étude Partager ou ne pas partager de HabiloMédias, « pour les garçons surtout, il est préférable de prendre une photo sous une bonne lumière pour montrer que nous avons une bonne gueule [2] ».

Il faut dire aussi que les jeunes hommes sont de plus en plus ciblés par les annonceurs qui voient en eux une manne lucrative; on peut donc en déduire que ces modèles masculins ne disparaîtront pas de sitôt de nos magazines. D’autres recherches ont permis d’établir un lien entre la hausse du nombre d’images de corps masculins idéalisés dans les médias et la hausse de l’insatisfaction corporelle et des troubles liés au poids chez les garçons et les jeunes hommes. Par exemple, une étude réalisée en 2017 conclut que les messages que les hommes voient en ligne contribuent à leur insatisfaction corporelle parce qu’ils font la promotion de pratiques strictes d’exercice et d’alimentation visant à produire le physique musculaire idéal [3].   

L’insatisfaction des garçons et des jeunes hommes, face à leur corps, est alimentée par le modèle idéalisé du corps viril présenté dans les médias, mais également par la représentation idéalisée la femme dite féminine. Dans une étude parue en 2009, on découvre que les jeunes hommes se soucient davantage de leur apparence physique après avoir feuilleté des « magazines pour hommes » représentant des photos sexy de femmes courtement vêtues; ils en déduisent que les filles s’attendent à rencontrer des garçons répondant, eux aussi, aux critères de beauté masculine de l’heure [4]. La Dre Alison Field, professeure agrégée en pédiatrie à l’Hôpital pour enfants de Boston, a découvert que les concours de beauté Miss America et les doubles pages centrales de Playboy demandent non seulement aux filles d’être plus minces, mais disent aussi que « les corps des hommes ne sont plus suffisants non plus ». Elle tient responsables de l’insatisfaction corporelle des hommes les médias qui présentent des muscles découpés et le nombre croissant d’images d’hommes torse nu [5].

Image d'un haltérophile s'efforçant de soulever un poids lourd. Légende: Mieux vaut mal que guérirC’est un fait bien documenté, les troubles alimentaires sont en hausse chez les hommes adultes. Une étude menée par le Service national de la santé du Royaume-Uni indique que les admissions en centre hospitalier d’hommes aux prises avec des troubles alimentaires auraient augmenté du deux tiers, entre 2001 et 2011 [6]. On note une hausse du trouble alimentaire également chez les garçons, en particulier parmi les athlètes [7]. On s’inquiète aussi de voir des garçons – certains âgés d’à peine 10 ans – obsédés à l’idée de se forger un corps musclé [8], une réaction qui pourrait être liée aux changements que nous avons connus, au cours des dernières décennies, et faisant de l’homme musclé un symbole sexuel [9]. Cette obsession peut se manifester de différentes manières : une idée fixe, celle par exemple de s’entraîner, en particulier aux poids et haltères; la surconsommation de stéroïdes anabolisants et autres drogues visant une meilleure performance, des produits susceptibles d’endommager le cœur, le foie, les reins et le système immunitaire; la dysmorphie musculaire, un état caractérisé par une extrême maigreur et une grande faiblesse chez une personne, qu’elle soit ou non bien musclée [10].

La recherche portant sur l’image corporelle chez les garçons s’est surtout intéressée au désir de se doter d’un corps musclé; mais de récentes découvertes suggèrent que les garçons seraient moins enclins à la musculation et surtout soucieux d’atteindre et de maintenir un poids moyen, évitant la maigreur et l’embonpoint afin de ne pas se démarquer de leurs pairs [11]. Les garçons insatisfaits de leur apparence se feront donc presque toujours du souci, craignant d’être trop maigres ou en surpoids [12]. On peut donc supposer que les troubles alimentaires et les problèmes d’image corporelle sont plus fréquents qu’on ne le pense puisque les chercheurs ont principalement mesuré le taux d’insatisfaction des garçons basé sur leur désir d’avoir un corps musclé. Par ailleurs, on peut aussi en déduire que les programmes d’intervention conçus pour les filles seront moins efficaces auprès des garçons : par exemple, les chercheurs ont conclu que le site Internet BodiMojo, qui aide les jeunes à résoudre leurs problèmes liés à l’image corporelle, réussit bien auprès des filles, mais semble peu efficace auprès des garçons [13].

C’est peut-être parce que les filles, en général, expriment ouvertement leur inquiétude face à leur apparence et en particulier leur poids alors que les garçons, de leur côté, doivent veiller à n’être ni trop maigres ni en surpoids tout en ayant l’air de ne pas trop se soucier de leur apparence [14]. Julia Taylor, conseillère au sein d’une école secondaire de la Caroline du Nord et auteure de Perfectly You, nous fait part de son expérience dans le cadre d’un événement portant sur l’image corporelle : « Les garçons ne voulaient même pas s’approcher de notre table de démonstration, disait-elle. Mais lorsque j’ai quitté les lieux, ils sont revenus discrètement, ont jeté un coup d’œil avant de s’en éloigner puis d’y revenir pour prendre furtivement une brochure qu’ils ont rapidement glissée dans leur poche [15]. Les parents, les enseignants et les conseillers doivent prendre conscience de ce problème d’image corporelle chez les garçons; il ne faut surtout pas attendre que les garçons viennent ouvertement solliciter notre aide [16]. Et s’il est vrai que les garçons ont besoin, tout autant que les filles, d’être éduqués et outillés en la matière, il faut se rappeler qu’ils ont besoin de programmes conçus spécifiquement pour eux [17]; non seulement ces programmes doivent répondre à leurs préoccupations (le désir d’être musclé et la pression voulant qu’on maintienne un poids moyen pour ne pas se démarquer du groupe), mais il faut s’assurer que les garçons pourront se les procurer discrètement et les utiliser en toute intimité, loin du regard de leurs pairs.

 

[1] Norman, M. (2011) Embodying the Double-Bind of Masculinity: Young Men and Discourses of Normalcy, Health, Heterosexuality, and Individualism. Men and Masculinities, 14, 4: 430-449.

[2] Johnson, M., Steeves, V., Shade, L.R, Foran, G. (2017) To Share or Not to Share: How Teens Make Privacy Decisions on Social Media. [traduction]

[3] Carrotte, E.R, Prichard, I., Su Cheng Lim, M. (2017) Fitspiration on social media: A content analysis of gendered images. Journal of Medical Research 19(3).

[4] Field, A., Sonneville, K., Crosby, R. (2014) Prospective Associations of Concerns About Physique and the Development of Obesity, binge drinking, and drug use among adolescent boys and young adult men. JAMA Pediatrics 168(1). 34-39.

[5] Aubrey, J. S., & Taylor, L. D. (2009). The role of lad magazines in priming men’s chronic and temporary appearance-related schemata: An investigation of longitudinal and experimental findings. Human Communication Research35, 28-58.

[6] «Rise in male eating disorders tip of iceberg: charity.» Alice Baghdjian, Reuters, 13 juillet 2011.

[7] «Eating Disorders May Be Rising Among Male Athletes,» Anne Harding, Reuters, 8 janvier 2009.

[8] Jay Dawes, Mark Roozen and Marie Spano. Muscle Dysmorphia. National Strength and Conditioning Association, 3 juin 2009.

[9] Leit RA, Pope HGJ, Gray JJ. (2001). Cultural expectations of muscularity in men: The evolution of playgirl centerfolds. International Journal of Eating Disorders 29:90-93.

[10] Kurtz, Sara. Adolescent Boys› and Girls› Perceived Body Image and the Influence of Media: The Impact of Media Literacy Education on Adolescents Body Dissatisfaction. Carroll University, décembre 2010.

[11] ] S. Bryn Austin, Jess Haines, Paul J. Veugelers. Body satisfaction and body weight: gender differences and sociodemographic determinants. BMC Public Health 2009, 9:313.)

[12] Freeman et al. (2012). The Health of Canada’s Young People: A Mental Health Focus. Public Health Agency of Canada.

[13] Cousineau, T.M., Franko, D.L., Trant, M., Rancourt, D., Ainscough, J., Chaudhuri, A., & Brevard, J. (2010). Teaching adolescents about changing bodies: Randomized controlled trial of an Internet puberty education and body dissatisfaction prevention program. Body Image, 7, 296-300.

[14] Norman, Moss. Embodying the Double-Bind of Masculinity: Young Men and Discourses of Normalcy, Health, Heterosexuality, and Individualism. Men and Masculinities, 17 septembre 2011

[15] Grace Rubinstein. Boys and Body Image: Eating Disorders Don’t Discriminate. Edutopia, avril 2010.

[16] Ibid.

[17] McCabe, M.P., Ricciardili, L.A. (2006). A prospective study of extreme weight change behaviors among adolescent boys and girls. Journal of Youth and Adolescence, 35(3), 425-434.