Des jeux d’enfants?

Marie-Josée ArchambaultC’est littéralement le phénomène de l’heure, n’ayons pas peur des mots! Car il faudrait vraiment vivre dans une grotte je pense pour ne pas en avoir entendu parler! «Squid Games», «Un deux trois soleil» ou «Le jeu du calmar» trois appellations pour parler du même succès planétaire qui sévit actuellement sur nos écrans. Plus précisément, cette émission de Netflix, concept importé de Corée, et qui a envahi les écrans (et l’espace public) du monde entier du jour au lendemain, me semble-t ’il. 

Le concept? Des gens paumés et endettés, choisis dans la rue à qui on offre de participer à des jeux d’enfants. Vous voyez le genre? Ces jeux un peu insignifiants auxquels nous-mêmes avons d’ailleurs peut-être même déjà joué enfants (les billes, le tir à la corde, etc). Mais dans le concept télé toutefois, les impacts sont pas mal plus intenses, c’est le moins qu’on puisse dire. Car si le gagnant de six épreuves se voit offrir une gagnotte de 40 millions, les perdants eux sont purement et simplement exécutés, sans autre forme de procès. Et oui, c’est sanglant et brutal. Le paradis de la violence extrême. Et gratuite aurais-je envie de dire! 

Tout à fait le genre d’émission, je dirais, que j’évite habituellement. 

Mais voilà! Pour moi comme pour vous, c’est un phénomène impossible à éviter tant il est en train d’entrer partout dans nos maisons. Chez-nous, c’est d’abord l’homme de la maison qui, après avoir jeté un œil curieux s’est vu happer jusqu’au générique final. Parce que la vérité c’est que c’est vraiment très accrocheur! Puis? L’ado qui s’est mis à insister pour voir, lui aussi. Parce que bien sûr, à l’école on ne parle que de ce phénomène. 

Et je dis «à l’école», mais pas que! 

Car dans un article sur lequel je suis tombée, on racontait que des fans s’adonnaient à des jeux s’apparentant au concept de Squid Game dans le métro de Montréal.  Dans un autre article sur lequel je suis tombée aussi, on racontait qu’une école primaire de Sherbrooke (mais ça s’est aussi vu en Belgique) avait dû intervenir après avoir découvert que des élèves reproduisaient des scènes de Squid Game…dans la cour de récréation. Et oui ! Une émission classée 18 ans et plus pour sa violence… et à laquelle de jeunes enfants ont visiblement eu accès.  

Si mon premier réflexe de mère a été d’être déconcertée, à me demander comment des parents pouvaient bien laisser leurs jeunes avoir accès à ce type de contenu, j’ai aussi pris conscience d’une chose. Soit que même si c’est facile de dire à notre ado que non, ce genre de contenu n’entrera pas chez-nous, la vérité c’est que les jeunes y ont accès quand même, quoi qu’on en pense et quoi qu’on fasse. Et qu’à la limite, il la regarderont même en cachette, sans oser nous parler de leurs malaises. 

Car en discutant avec mon adolescent de quinze ans, j’ai découvert que finalement, l’émission était tellement partout en ce moment qu’il n’était même pas nécessaire d’avoir vu la série pour en connaître les moindres détails. Youtube, mais surtout TikTok, la plateforme chouchou des jeunes regorgeant d’extraits de la série de l’heure…. Au point où il me disait que même sans avoir vu la série, il en connaissait pratiquement déjà tous les détails…  

Car le problème premier, c’est peut-être bien plus celui-là. Une facilité d’accès qui rend pratiquement impossible l’option de l’interdiction littérale. Car même si sur Netflix ce contenu est assorti d’un classement adulte, la vérité c’est que le phénomène s’est exporté massivement sur TikTok où le hashtag #SquidGame aurait généré l’astronomique 30 milliards de visionnements… 

Alors on fait quoi ? Car en tant que parent, je pense qu’on peut bien sur imaginer contrôler ce que voient nos jeunes. La vérité c’est que ce n’est pas si facile et évident d’y parvenir. Aussi, au final, je me demande si ce genre de contenu ce n’est pas plutôt la meilleure occasion qui soit d’aborder la question de la violence avec nos jeunes, de façon archi concrète au lieu d’une façon plus théorique. Une occasion qui donne en fait tout son sens à cette notion d’éducation aux médias dont on parle tant et qu’on veut tous donner à nos jeunes. Sans toujours savoir par où commencer. 

Pour ma part, en discutant avec l’ado, j’ai réalisé qu’il était super allumé et conscient de la grande violence de ce contenu particulier. Ça nous a permis dans notre cas de discuter plus largement de l’influence de certains contenus sur notre perception de la nature humaine. Mais je pense que ça peut aussi une super occasion d’aborder plus largement plusieurs autres sujets.  

Par exemple? L’effet de certaines dépendances (jeux, drogues, etc.) sur nos comportements. Car c’est parce que les personnages de cette série sont d’abord endettés et mal pris qu’ils imaginent pouvoir se sortir de leurs problèmes en participant à ces jeux, au risque d’y perdre la vie. Ou encore, ces scènes qui présentent des événements liés à de la violence domestique (menaces de violences sexuelles, des femmes qui sont tirées par les cheveux et battues, etc.), une occasion de discuter de relations égalitaires et respectueuses entre conjoints. Mais aussi peut-être, une occasion de discuter de questions plus morales. Est-il éthique de tricher et ou d’escroquer pour gagner? Est-ce que gagner est si important? Et si oui, jusqu’où est-il acceptable d’aller pour gagner? 

Bref! J’ai bien peur qu’on ait pas fini d’entendre parler du phénomène «Squid Game» qui risque de faire couler encore beaucoup d’encre. Aussi bien en parler que de l’éviter. Car on y échappera pas.