Vie privée en ligne, promotion en ligne : les jeunes protègent davantage leur réputation que leurs renseignements personnels

Matthew Johnson

Les jeunes se soucient-ils de leur vie privée? Les participants à des groupes de discussion de HabiloMédias en 2012 nous ont dit qu’ils se souciaient grandement de leur vie privée, même s’ils participent activement à des plateformes et à des activités que les adultes considèrent comme étant seulement des sites de partage et de diffusion. En examinant les conclusions de notre étude Jeunes Canadiens dans un monde branché réalisée auprès de plus de 5 000 élèves des provinces et des territoires du Canada, nous pouvons maintenant commencer à comprendre cette contradiction : les jeunes ne se soucient peut-être pas de notre définition de la vie privée, mais ils veulent avoir le contrôle, le contrôle de ceux qui peuvent voir leurs publications, de ceux qui peuvent savoir où ils se trouvent et, surtout, de la façon dont les autres les perçoivent.

On peut certainement dire que l’expérience virtuelle des jeunes est sociale. Mais socialiser ne signifie pas nécessairement la même chose que partager. De nombreux élèves disent qu’ils prennent des mesures actives pour gérer leur image en ligne, comme supprimer une publication qu’ils ont affichée ou demander à quelqu’un de supprimer une publication les concernant. Bien que nous pensions souvent que les jeunes cachent leurs activités en ligne de leurs parents ou d’autres figures d’autorité, ils sont en réalité tout aussi susceptibles de cacher leurs publications à leurs amis qu’à leur famille, et ils sont aussi moins nombreux à cacher leurs publications à leurs enseignants ou employeurs actuels ou potentiels.

Cette organisation prudente de leurs publications pourrait expliquer pourquoi les jeunes sont généralement prêts à donner accès à leurs réseaux sociaux aux amis et à la famille. Pour les plus jeunes élèves, les réseaux sociaux visent principalement la famille : 80 p. 100 des élèves de 4e année disent que leur famille devrait être en mesure de voir leurs publications sur les réseaux sociaux alors que seulement 60 p. 100 ont dit la même chose de leurs amis. Cependant, en vieillissant, l’équilibre n’est plus le même : les membres de la famille demeurent tout de même un public important, un peu plus de la moitié des élèves de 11e année indiquant que leurs parents devraient pouvoir voir leurs publications.

Au total, 9 élèves sur 10 ont utilisé les paramètres de confidentialité de leurs réseaux sociaux. Cependant, même si la moitié des élèves les ont utilisés pour bloquer des étrangers, les amis font partie des groupes qui sont également bloqués, suggérant ainsi que les élèves utilisent les paramètres de confidentialité pour bloquer des utilisateurs, mais aussi pour partager seulement certains éléments avec certains de leurs contacts.

Quel contenu les jeunes désirent-ils contrôler? Les photographies sont l’une de leurs principales préoccupations : presque tous les élèves ont dit qu’ils prendraient des mesures pour supprimer une photo d’eux qu’ils n’aimaient pas. Pour ce faire, les élèves font généralement appel à des approches sociales. Les deux stratégies les plus populaires pour supprimer une photo indésirable consistent à demander à la personne qui l’a affichée de la supprimer et à supprimer l’identification sur la photo. En parler aux parents et dénoncer le comportement au fournisseur du réseau social sont les prochaines réponses les plus populaires, suivies de parler à un enseignant ou au directeur, mettre fin à l’amitié et aller dans le compte de la personne concernée pour supprimer la photo. Bien que les mêmes principales stratégies soient populaires autant auprès des filles que des garçons, elles sont plus populaires chez les filles que les garçons, ces derniers étant plus susceptibles de choisir l’une des stratégies moins populaires, ce qui suggère que les filles établissent les normes quant à la façon de gérer les questions de vie privée et d’identité en ligne. En plus de s’attendre à ce que les amis suppriment une photo sur demande, les élèves s’attendent également à ce que leurs amis leur demandent leur autorisation avant de diffuser une photo d’eux, que la photo soit bonne ou mauvaise. Les principales façons de composer avec une photo indésirable dépendant de la négociation sociale, la situation montre l’importance de promouvoir des normes sociales positives quant au respect de la vie privée des autres.

Les autres moyens techniques de gérer sa vie privée, comme les mots de passe, ont également une dimension sociale. Le mot de passe constitue la clé de tous les renseignements personnels d’une personne, mais la majorité des élèves ont tout de même avoué qu’ils partageraient le mot de passe de leur compte de réseautage, de courriel ou de téléphone cellulaire. Bien que les garçons soient tout aussi susceptibles que les filles de partager leurs mots de passe avec un petit ami ou une petite amie, les filles sont davantage susceptibles de partager leurs mots de passe avec un ou une meilleure amie, alors que les garçons sont plus nombreux à dire qu’ils ne partageraient pas leurs mots de passe avec quiconque. Le partage de mots de passe pourrait être considéré comme un signe de confiance chez les filles, mais pas chez les garçons. Les garçons sont peut-être également plus préoccupés par la possibilité d’être victimes d’un vol d’identité ou de se faire jouer un tour.

Les filles sont également plus susceptibles de partager leurs mots de passe avec leurs parents que les garçons. Cependant, les élèves estiment généralement que leurs parents devraient être autorisés à lire leurs publications sur les réseaux sociaux. Sans surprise, les plus jeunes élèves ont donné cette réponse en plus grand nombre, mais même en 11e année, un peu plus de la moitié des élèves désirent être vus de leurs parents et des membres de leur famille. Les filles sont habituellement plus enclines à partager leurs publications avec leurs parents que les garçons. Les filles étant également plus susceptibles d’utiliser les paramètres de confidentialité pour empêcher des étrangers de voir leurs publications, il pourrait y avoir un lien avec le nombre plus élevé de règles à la maison chez les filles et une perception plus solide chez ces dernières voulant qu’Internet ne soit pas sécuritaire, comme l’indique notre premier rapport sur le sondage en ligne, La vie en ligne.

Les parents sont également la principale source d’éducation des élèves en matière de vie privée, ce qui pourrait expliquer pourquoi cette éducation se concentrent plus sur le contrôle de l’accès au contenu (comme les photos et les messages) qu’aux données (comme l’historique des sites qu’ils ont visité et les messages qu’ils ont aimé) et pourquoi les élèves connaissent mal les pratiques de collecte de données des programmes et des plateformes qu’ils utilisent. Quatre élèves sur cinq ont appris à utiliser les paramètres de confidentialité (lesquels sont utilisés pour contrôler qui voit vos publications) alors qu’une politique de respect de la vie privée a été expliquée à seulement un tiers d’entre eux (laquelle précise quels renseignements personnels le site recueillent, la façon qu’il les utilise et à qui il les communique). Voilà peut-être pourquoi les deux tiers des élèves croient à tort qu’un site énonçant une politique de respect de la vie privée ne partagera pas les renseignements personnels des utilisateurs avec d’autres parties.

Les préoccupations soulevées par les parents dans nos groupes de discussion de 2012, lesquels portaient presque exclusivement sur la sécurité de leurs enfants, pourraient également se refléter dans certaines des autres habitudes et attitudes des élèves : par exemple, près des trois quarts des élèves ne diffusent jamais de coordonnées en ligne comme leur adresse ou leur courriel. Le rapport La vie en ligne a démontré que de nombreux jeunes partagent le point de vue de leurs parents qui considèrent qu’Internet est un endroit dangereux, ce qui pourrait expliquer pourquoi près d’un tiers d’entre eux ont dit que la police devrait être en mesure de voir leurs publications sur les médias sociaux et de suivre leurs déplacements.

Les jeunes Canadiens se soucient du respect de leur vie privée et sont prêts à apprendre et à utiliser des outils pour la gérer. Leur mauvaise compréhension de la protection des données les rend toutefois vulnérables à des atteintes à la vie privée dont ils ne sont peut-être même pas au courant. Les parents étant la principale source d’éducation des élèves en la matière, il faut sensibiliser le public aux questions de respect de la vie privée et étendre la conversation au‑delà de ces préoccupations en matière de sécurité. Les enseignants doivent disposer de davantage de ressources et de soutien pour apprendre aux élèves à gérer leur vie privée, et nous devons tous favoriser des normes sociales positives (à l’école, à la maison et dans notre culture), valorisant nos propres renseignements personnels et traitant ceux des autres avec respect.

(Les prochains rapports fondés sur les données de l’étude Jeunes Canadiens dans un monde branché examineront les habitudes, les activités et les attitudes des élèves relativement au harcèlement en ligne et à la cyberintimidation, au contenu offensant, aux relations en ligne, et à la littératie numérique en classe et à la maison.)

Cliquez ici pour lire le rapport complet Vie privée en ligne, promotion en ligne.

Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : Vie privée en ligne, promotion en ligne a pu être réalisé grâce aux contributions financières de l’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, et de la Alberta Teachers’ Association.