Prenez conscience de vos propres préjugés

L’une des choses les plus difficiles du rôle de diffuseur responsable est de prendre conscience de vos propres préjugés, des raisons pour lesquelles vous pourriez être plus susceptible de croire une chose sans avoir de preuves. Ce sont des aspects de notre façon de penser qui peuvent nous amener à accepter de fausses déclarations, à rejeter les vraies, ou simplement à ne pas poser suffisamment de questions.

Voici quelques préjugés cognitifs fréquents dont nous devons tenir compte avant de décider de partager du contenu[1].

  • Privilégier des faits qui renforcent ce que nous croyons déjà. C’est l’idée qui nous vient en tête lorsque nous entendons le mot « préjugé » : nous sommes encore plus susceptibles d’accepter ou d’ignorer des choses selon qu’elles appuient ou non ce en quoi nous croyons déjà. Une journée chaude de février ou une journée froide de juillet n’offre pas vraiment de preuves pour ou contre le changement climatique, mais notre opinion sur la question nous portera à croire que l’un ou l’autre est une preuve. Ce type de préjugé n’a pas besoin d’être politique ou idéologique : par exemple, nous sommes plus susceptibles de nous rappeler des bons côtés d’une personne que nous aimons et d’ignorer ses mauvais côtés.
    Bien que ces préjugés aient toujours fait partie de nous, Internet nous permet de faire des recherches préférentielles pour des faits qui confirment ce en quoi nous croyons déjà : « Si notre recherche initiale ne donne pas les résultats que nous voulons, nous n’y pensons pas à deux fois. Nous essayons plutôt une requête différente pour faire une nouvelle recherche. Grâce à ce pouvoir de recherche, il faut habituellement peu de temps avant de trouver quelqu’un ou quelque chose qui confirme notre préjugé[2]. » C’est également la raison pour laquelle la majeure partie des fausses informations visent non pas à vous persuader de quelque chose, mais simplement à mettre suffisamment en doute l’argument opposé que ceux qui sont plus enclins à ne pas y croire estimeront que leur pensée est justifiée[3].
    C’est aussi pourquoi la « méthode de triangulation » classique qui consiste à trouver trois sources pour confirmer les renseignements ne suffit pas toujours lorsque nous utilisons des ressources en ligne : il est facile de trouver trois sources qui confirment toutes votre opinion si vous cherchez ces renseignements précis. (Aussi, ce qui semble être trois sources distinctes pourraient en fait provenir de la même source originale : une récente étude sur les blogues qui indiquait que le réchauffement était un canular ou n’était pas causé par l’activité humaine a permis de découvrir que 80 % d’entre eux citaient le même site Web[4].)
  • Finir le casse-tête : Les gens sont des conteurs nés, et nous aimons que les choses suivent un certain « modèle ». Une fois que nous croyons reconnaître ce modèle, nous sommes plus susceptibles d’accepter les choses qui y correspondent et d’ignorer les choses qui n’y correspondent pas. Bien entendu, certains modèles sont réels, mais vous devriez tout de même juger chaque fait pour ce qu’il est et pas parce qu’il correspond au modèle.
  • Ne pas vouloir faire de vagues : Nous pouvons aussi être influencés par ce que croient les gens autour de nous. Si vous savons que tous nos amis ou membres de notre famille croient quelque chose, surtout s’il s’agit d’une croyance grandement émotionnelle, nous sommes plus susceptibles de prêter attention aux choses qui confirme cette croyance ou d’ignorer les choses qui s’y opposent. Les réseaux sociaux nous permettant de nous associer seulement aux personnes qui partagent notre opinion, ce préjugé peut être particulièrement puissant en ligne. Comme Judith Donath, fondatrice du Sociable Media Group du Media Lab au MIT, l’indique : « Les nouvelles sont partagées pas seulement pour informer ou même persuader. Elles sont un marqueur d’identité, une façon d’annoncer notre affinité avec une communauté en particulier[5]. »
  • Prêter davantage attention aux choses inhabituelles : Nous avons une tendance naturelle à nous inquiéter davantage des événements rares et dramatiques, comme les écrasements d’avions, qu’aux choses plus communes comme les accidents de voiture. Les médias peuvent également nous faire croire que des événements qui sont considérés comme dignes d’intérêt, comme les écrasements d’avions et les crimes violents, sont plus fréquents qu’ils ne le sont en réalité.
  • Ne pas vouloir admettre que nous ne savons pas : Souvent, nous tirons des conclusions hâtives même si nous n’avons pas suffisamment d’informations pour prendre une décision éclairée, ce qui pourrait s’expliquer par les contraintes de temps (lorsque nous devons prendre des décisions rapidement) ou les pressions sociale (lorsque nous pensons que nous devons partager quelque chose avec nos pairs). Ce préjugé, en plus du deuxième ci-dessus (Finir le casse-tête), est la raison pour laquelle la désinformation est plus efficace lorsqu’elle est partiellement vraie : lorsque nous sommes pressés par le temps, nous privilégions les faits que nous connaissons plutôt que les questions auxquelles nous n’avons pas de réponse[6]. Une forme extrême de ce préjugé consiste à nier cyniquement que la vérité existe, ce qui, ironiquement, nous rend plus susceptibles de privilégier des faits qui appuient ce en quoi nous croyons déjà : si toutes les sources mentent, le fait de démontrer sa loyauté à l’égard de notre groupe a plus d’importance que d’avoir raison[7], une attitude qui est également associée à une croyance dans les théories du complot[8].

Quelles sont les meilleures façons de vaincre nos préjugés?

  • Comme mentionné précédemment, avant de partager du contenu, il faut prendre le temps de nous calmer.
  • Vous pouvez apprendre comment les nouvelles et les autres médias sont conçus dans notre section Vérifier les nouvelles en ligne.
  • Il faut faire un effort conscient pour privilégier l’exactitude. En tant que diffuseurs de l’information, nous avons la même responsabilité que les journalistes de vérifier les faits avant de partager : comme un journaliste interrogé sur ses habitudes de vérification des faits l’a dit, aucun élément d’information ne doit être diffusé avant d’avoir être vérifié[9].
  • Nous ne devons partager du contenu que si nous sommes certains de l’identité et de la compétence de la source originale et de la source qui l’a partagée avec nous. De plus en plus de données probantes démontrent que les « usines à trolls », y compris certaines travaillant au nom de pays comme la Russie et l’Iran, s’efforcent de diffuser du contenu comme des mèmes dans l’ensemble de la sphère politique dans le but de polariser encore plus les communautés[10]. Même si le contenu lui-même est vrai, la diffusion de ce contenu à partir de ces comptes augmente leur crédibilité, ce qui peut faire une différence lorsqu’ils propagent de fausses informations. Bon nombre des robots sur Twitter exploités par l’organisation de propagande russe IRA prétendaient être des journaux locaux qui n’existent pas, comme le Milwaukee Voice, et propageaient des nouvelles généralement fidèles rapportées par d’autres organes de presse. Ainsi, « plutôt que de seulement les diffuser en ligne et les envahir de nouveaux sites, ces comptes disposent d’un historique crédible de deux ans[11] ».
  • Il faut être prêts à admettre nos torts. En tant que diffuseurs, nous avons la même responsabilité que les organes de presse de corriger clairement et ouvertement les erreurs ou les fausses informations que nous avons partagées. En fait, admettre vos erreurs et les corriger peuvent vous rendre encore plus crédible[12].
  • Nous devons être curieux. Les recherches ont révélé que la curiosité rend les gens plus susceptibles de surmonter leurs préjugés politiques concernant des questions scientifiques précises[13].
 

[1] Benson, B. (1er septembre 2016). Cognitive bias cheat sheet – Better Humans. Consulté le 5 avril 2018 sur le site https://betterhumans.coach.me/cognitive-bias-cheat-sheet-55a472476b18.
[2] Owings, J. (9 février 2009). Confirmation Bias and the Internet. Consulté le 5 avril 2018 sur le site https://justinowings.com/confirmation-bias-and-the-internet/. [traduction]
[3] Kahan, D.M., Landrum, A., Carpenter, K., Helft, L., et Jamieson, K.H. (2017). Science Curiosity and Political Information Processing. Political Psychology, 38, 179-199. doi:10.1111/pops.12396.
[4] Harvey, J.A., Berg, D.V., Ellers, J., Kampen, R., Crowther, T.W., Roessingh, P., Mann, M.E. (2018). Internet Blogs, Polar Bears, and Climate-Change Denial by Proxy. BioScience, 68(4), 237-237. doi:10.1093/biosci/biy033.
[5] Zuckerman, E. (2017). Mistrust, Efficacy and the New Civics: Understanding the Deep Roots of the Crisis of Faith in Journalism. (rapport) The Knight Foundation. [traduction]
[6] Standish, R. (1er mars 2017). Why Is Finland Able to Fend Off Putin’s Information War? Foreign Policy.
[7] Balmas, M. (2012). When Fake News Becomes Real. Communication Research, 41(3), 430-454. doi:10.1177/0093650212453600.
[8] Koerth-Baker, M. (21 mai 2013). Why Rational People Buy Into Conspiracy Theories. The New York Times. Consulté le 5 avril 2018 sur le site https://www.nytimes.com/2013/05/26/magazine/why-rational-people-buy-into-conspiracy-theories.html.
[9] Shapiro, I., Brin, C., Bédard-Brûlé, I., et Mychajlowycz, K. (2013). Verification as a Strategic Ritual. Journalism Practice, 7(6), 657-673. doi:10.1080/17512786.2013.765638.
[10] Facebook uncovers new global misinformation operations. The Associated Press. Consulté le 21 août 2018 sur le site https://www.cbc.ca/news/technology/facebook-uncovers-new-global-misinformation-operations-1.4794064.
[11] Mak, T., et Berry, L. (12 juillet 2018). Russian Influence Campaign Sought To Exploit Americans' Trust In Local News. Consulté sur le site https://www.npr.org/2018/07/12/628085238/russian-influence-campaign-sought-to-exploit-americans-trust-in-local-news. [traduction]
[12] Riordan, K. (2018). Accuracy, Independence and Impartiality: How Legacy Media and Digital Natives Approach Standards in the Digital Age. (rapport) Reuters Institute for the Study of Journalism.
[13] Kahan, D.M., Landrum, A., Carpenter, K., Helft, L., et Jamieson, K.H. (2017). Science Curiosity and Political Information Processing. Political Psychology, 38, 179-199. doi:10.1111/pops.12396.