Lois, règles et moralité personnelle

Il est important de faire connaître aux jeunes les lois qui s’appliquent à ce qu’ils font en ligne, ainsi que d’établir des règles à la maison qui couvrent les comportements en ligne.

Par exemple, l’étude Jeunes Canadiens dans un monde branché de HabiloMédias a révélé que les élèves qui doivent respecter des règles à la maison concernant diverses activités sur le Web sont moins susceptibles d’adopter un comportement risqué en ligne[i], tandis que d’autres études ont établi des corrélations entre les règles à la maison et les taux inférieurs de cyberintimidation[ii] et d’expérience de celle-ci[iii], ainsi que divers autres comportements à risque[iv].

Cependant, il semble que de connaître les pénalités imposées pour des choses comme le sextage,[v] le plagiat[vi] et l’utilisation de téléphones cellulaires en conduisant[vii] ne rendent pas les jeunes moins susceptibles d’adopter ces comportements, possiblement parce que les conséquences semblent trop éloignées,[viii] et aussi parce que les préadolescents et les adolescents sont à un stade de leur développement moral où ils sont moins motivés par la peur d’une punition et davantage par un désir de s’intégrer aux conventions sociales. De plus, les jeunes n’appliquent souvent pas leur jugement moral de la même manière en ligne que hors ligne : une étude a montré que le désengagement moral était « significativement plus élevé dans les interactions en ligne que les contextes en face à face et que le désengagement moral en ligne modérait la relation entre l’identité morale en ligne et les comportements immoraux en ligne[ix] ». Il est possible que les règles familiales relatives à l’utilisation d’Internet soient efficaces non pas en raison des sanctions prévues en cas d’infraction, mais parce qu’elles communiquent aux enfants les valeurs et les attentes de leur famille quant à la manière dont ils doivent se comporter, et que ces valeurs s’appliquent aussi bien en ligne que hors ligne.

Les règles à la maison sont un exemple de ce que l’on appelle la normalisation sociale, c’est-à-dire influencer les gens en leur faisant prendre conscience du comportement de leurs pairs. Nous avons souvent une idée tordue de ce qui est normal ou fréquent. Les jeunes ne comprennent souvent pas à quel point il est facile de faire partie du problème de la cyberintimidation, par exemple en partageant ou en aimant un message blessant[x]. Leur manque de connaissances sur la prévalence de la cyberintimidation fait en sorte que ces comportements leur semblent plus acceptables parce qu’ils ne savent pas mieux. Les produits médiatiques visant les jeunes peuvent également suggérer que l’agressivité et les comportements similaires sont normaux[xi] alors que de nombreux espaces en ligne qui sont populaires auprès des jeunes adoptent des cultures dans le cadre desquelles l’intimidation, le sexisme, le racisme, l’homophobie et les attitudes similaires sont normalisés.

Comme pour l’empathie, nous ne pouvons pas enseigner directement aux jeunes à développer une moralité personnelle, mais nous pouvons l’encourager. Les recherches ont clairement établi que « l’éducation morale » directe n’a aucun effet durable, mais que le fait d’encourager les jeunes à considérer des dilemmes moraux (lesquels favorisent des situations n’ayant aucune réponse claire pour forces les gens à comparer différents principes moraux) peut aider à guider les enfants lors des étapes du développement moral.

Un exemple de dilemme moral utilisé par Lawrence Kohlberg est l’histoire d’une fillette de 12 ans prénommée Judy qui économisait de l’argent pour assister à un spectacle. Lorsqu’est venu le temps du spectacle, elle avait économisé suffisamment d’argent (et même 5 $ de plus) pour y aller, mais sa mère lui a dit que le budget de la famille était serré et que l’argent devrait servir à payer pour les nouveaux vêtements de Judy. Le dilemme initial : Judy devrait-elle donner tout l’argent à sa mère ou mentir à propos de la somme amassée et lui donner seulement le 5 $ dont elle n’a pas besoin et aller voir le spectacle en cachette? La réponse serait-elle différente si l’argent de Judy lui avait été donné en cadeau? Et si la mère de Judy lui avait précédemment promis qu’elle pourrait aller au spectacle si elle gagnait l’argent elle‑même?[xii]

Il faut se rappeler que les enfants donnent plus de valeur à un argument moral qui se situe à un stade supérieur au leur. Un dilemme moral comme celui-ci pourrait être utilisé pour aider à guider un enfant du stade II au stade III (demandez à l’enfant ce qui arriverait à la famille si les parents de Judy estimaient qu’ils ne peuvent pas lui faire confiance) ou du stade III au stade IV (demandez à l’enfant ce qui est le plus important entre l’autorité de la mère de Judy et la promesse qu’elle a faite).

Les médias et la moralité

Les médias peuvent être une autre bonne occasion d’encourager la pensée morale et d’explorer les questions morales.[xiii] Même si nous savons qu’ils ne sont pas réels, nous apportons notre moralité aux médias que nous utilisons et consommons[xiv],[xv], et ils peuvent nous apprendre quel comportement est puni (stade I) et récompensé (stade II). Nous apprenons certainement les valeurs de notre société (stade III), du moins en partie, auprès des médias, ainsi que les codes sociaux comme les attentes relativement au comportement de genre (stade IV). De nombreuses personnes, par exemple, déclarent que leur attitude à l’égard des personnes LGBTQ+ a changé en raison d’une augmentation des représentations positives dans les médias (probablement perçu par plusieurs comme l’expression d’une évolution des attitudes sociales sur la question, selon le raisonnement de l’étape 3[xvi]), tandis que des activités médiatiques comme les jeux vidéo ont été liées au développement moral des adolescents[xvii] et qu’il a été démontré que les représentations médiatiques de l’agression sociale augmentent ce comportement chez les filles[xviii]. Les célébrités en ligne comme les youtubeurs, les influenceurs et les « streamers » (instavidéastes) de jeux vidéo se livrent également souvent à des actes de harcèlement, à des discours haineux ou à des querelles (réelles ou mises en scène) avec d’autres célébrités, pour lesquels ils sont soutenus par leur public et, le plus souvent, récompensés par des plateformes conçues pour favoriser les contenus les plus « intéressants »[xix].

Mais plutôt que de laisser nos enfants apprendre passivement des médias, nous pouvons leur demander de se mettre à la place d’un personnage ou d’imaginer ce qu’ils auraient fait[xx]. Les recherches ont montré que les médias peuvent favoriser le développement moral des jeunes et des enfants, mais seulement si les parents ou les enseignants prennent le temps de les aider à explorer les questions morales et les dilemmes présentés[xxi]. Il est prouvé que les textes médiatiques conçus intentionnellement pour aider les gens à explorer des dilemmes moraux peuvent efficacement favoriser le développement moral[xxii]. Toutefois, présenter un défi moral dans une fiction peut s’avérer très difficile : si les lecteurs ou les spectateurs sont trop profondément immergés dans l’histoire, ils peuvent être enclins à la considérer d’un point de vue moral. Ils peuvent toujours recevoir des messages inconscients sur la moralité, bien sûr, selon la façon dont les personnages sont punis ou récompensés et les attitudes sociales exprimées, mais l’intérêt de comparer les principes moraux entre eux est perdu.

Autre préoccupation : même lorsque les produits médiatiques tentent de présenter des dilemmes moraux, ils « pipent les dés » en faveur d’une seule interprétation la plupart du temps. C’est peut-être la raison pour laquelle les genres dont les récits sont moins noirs et blancs sont associés à un jugement moral plus marqué[xxiii]. Par exemple, les médias, qu’il s’agisse de séries télévisées comme Homeland et 24 ou de films comme Zero Dark 30 et Zootopia, soulèvent des questions sur le bien-fondé de l’utilisation de la torture dans le cadre d’une enquête sur le terrorisme, mais comme cet aspect fait presque toujours partie d’un « compte à rebours » vers une attaque terroriste, et parce que la torture est présentée à tort comme efficace pour obtenir de précieuses informations, ces textes gênent toute discussion sur la moralité de son utilisation[xxiv]. En fait, le doyen de l’Académie militaire de West Point aux États-Unis a demandé aux producteurs de la série 24 de faire une « émission où la torture se retourne contre les protagonistes » puisqu’il craignait que les jeunes soldats et les agents du renseignement ne reçoivent le message selon lequel la torture est à la fois efficace (étape 2) et socialement et moralement acceptable (étapes 3 à 6)[xxv].

Heureusement, il existe des façons de renverser la situation. Pour commencer, nous pouvons enseigner aux jeunes des compétences médiatiques qui les aident à reconnaître la nature artificielle des produits médiatiques et à comprendre les raisons pour lesquelles l’agressivité et la méchanceté sont plus communes dans les médias que dans la vraie vie.

Les médias peuvent également servir de tremplin pour discuter de questions morales : des chercheurs ont constaté que le fait de consacrer seulement 30 secondes à discuter de questions morales dans un texte médiatique peut contribuer au développement moral des enfants[xxvi]. Voici une liste de questions tirées de l’outil Empatico pour vous aider à mener des discussions à la maison ou en classe sur les choix moraux des personnages.

  • Pourquoi pensez-vous que le personnage a fait _____? Y a-t-il d’autres explications?
  • Pourquoi pensez-vous que le personnage a assumé _____?
  • Qu’est-ce qui a influencé le personnage lorsqu’il a décidé de _____?
  • Que pourrait faire le personnage pour vérifier si ses suppositions sont vraies ou non?
  • Comment pouvons-nous appliquer cette situation ou leçon à notre propre vie?
  • Avez-vous déjà vécu une telle expérience?
  • Comment votre façon de penser a-t-elle changé lorsque vous en avez appris davantage sur la situation[xxvii]?

Notre fiche-conseil « Accompagnez vos enfants dans leur visionnement » contient d’autres conseils sur la façon d’aider vos enfants à apprendre à poser des questions critiques sur les médias.

Nous pouvons également habiliter et encourager les jeunes à défendre leurs croyances, même lorsqu’ils se retrouvent dans des environnements où les attitudes et les comportements négatifs sont la norme. Les études ont démontré que les membres d’un groupe sont beaucoup moins susceptibles de se conformer aux attitudes du groupe si seulement une personne exprime une opinion différente.[xxviii] Il est donc important d’encourager les jeunes à développer leur propre moralité. Bien sûr, la plupart des jeunes se trouvant dans de nombreux environnements et cultures différents, autant en ligne que hors ligne, la seule façon de s’assurer qu’ils font constamment de bons choix sont de les aider à se faire une meilleure idée du bien et du mal. Bien que cela puisse parfois vouloir dire qu’ils adoptent des positions morales qui sont différentes des nôtres, nous devons respecter le processus de pensée des jeunes plus âgés et les facteurs qu’ils ont pris en considération.

 

[i] Steeves, V. (2014). Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La vie en ligne. Ottawa: HabiloMédias, pp. 35-36. Consulté sur le site https://habilomedias.ca/jcmb/vie-en-ligne

[ii]Álvarez-García, D., Núñez, J. C., García, T., & Barreiro-Collazo, A. (2018). Individual, family, and community predictors of cyber-aggression among adolescents. European journal of psychology applied to legal context, 10(2), 79-88.

[iii] Khurana, A., Bleakley, A., Jordan, A. B., & Romer, D. (2015). The protective effects of parental monitoring and internet restriction on adolescents’ risk of online harassment. Journal of youth and Adolescence, 44(5), 1039-1047.

[iv] Álvarez-García, D., Núñez, J. C., González-Castro, P., Rodríguez, C., & Cerezo, R. (2019). The effect of parental control on cyber-victimization in adolescence: the mediating role of impulsivity and high-risk behaviors. Frontiers in psychology, 10, 1159.

[v] Strassberg, D, McKinnon, R, Sustaíta, M, & Rullo, J. (2013) Sexting by high school students: an exploratory and descriptive study. Archives of Sexual Behavior. Consulté sur le site http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22674035

[vi] Strassberg, D, McKinnon, R, Sustaíta, M, & Rullo, J. (2013) Sexting by high school students: an exploratory and descriptive study. Archives of Sexual Behavior. Consulté sur le site http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22674035

[vii] Geuss, M. (2013). Laws against cell phone use while driving can’t curb teen texters. Ars Technica. Consulté sur le site http://arstechnica.com/tech-policy/2013/04/laws-against-cell-phone-use-while-driving-cant-curb-teen-texters/

[viii] Yin, S. (2019). How to keep teens drivers’ eyes on the road, and their fingers off the keyboard. WHYY PBS. Consulté sur le site https://whyy.org/articles/how-to-keep-teen-drivers-eyes-on-the-road-and-their-fingers-off-the-keyboard/

[ix] Saulnier, L. (2019). Moral Identity, Moral Disengagement, and Online Behaviour from Adolescence to Young Adulthood. Wilred Laurier University. 2121. [traduction]

[x] (2018). What is cyberbullying? Public Safety Canada. Consulté sur le site https://www.publicsafety.gc.ca/cnt/ntnl-scrt/cbr-scrt/cbrbllng/prnts/cbrbllng-en.aspx

[xi] Haxton, N (2010). Cartoons, TV and pollies ‘create school bullies.’ PM. Consulté sur le site http://www.abc.net.au/news/2010-02-18/cartoons-tv-and-pollies-create-school-bullies/335914

[xiii] Irlene Sandra and Dorr, Aimee, 2002. « Teen Television as a Stimulus for Moral Dilemma Discussion. » Document présenté lors de la Annual Meeting of the American Educational Research Association (New Orleans, LA, April 1-5, 2002).

[xiv] Ferchaud, A., & Beth Oliver, M. (2019). It’s my choice: The effects of moral decision-making on narrative game engagement. Journal of Gaming & Virtual Worlds, 11(2), 101-118

[xv] Weber, R., Popova, L., & Mangus, J. M. (2013). Universal morality, mediated narratives, and neural synchrony. Media and the moral mind, 26-42.

[xvi] (2010) 2009-2010 Network Responsibility Index. GLAAD.

[xvii] Hodge, S. E., Taylor, J., & McAlaney, J. (2019). It’s Double Edged: The Positive and Negative Relationships Between the Development of Moral Reasoning and Video Game Play Among Adolescents. Frontiers in psychology, 10, 28.

[xviii] Martins, N., & Wilson, B. J. (2012). Social aggression on television and its relationship to children's aggression in the classroom. Human Communication Research, 38(1), 48-71.

[xix] Tekinbas K.S. (2020) Raising Good Gamers: Envisioning an Agenda for Diversity, Inclusion, and Fair Play. Connected Learning Lab

[xx] Krcmar, M. (2013). The effect of media on children’s moral reasoning. Media and the moral mind, 198-217.

[xxi] Nikos-Rose, K (2019). Moral lessons in Children’s television programs may require extra explanation to be effective. UC Davis. Consulté sur le site https://www.ucdavis.edu/news/moral-lessons-childrens-television-programs-may-require-extra-explanation-be-effective/

[xxii] Zagal, J. P. (2009, September). Ethically Notable Videogames: Moral Dilemmas and Gameplay. In DiGRA conference.

[xxiii] Black, J. E., Capps, S. C., & Barnes, J. L. (2018). Fiction, genre exposure, and moral reality. Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, 12(3), 328.

[xxiv] Delehanty, C., & Kearns, E. M. (2020). Wait, There’s Torture in Zootopia? Examining the Prevalence of Torture in Popular Movies. Perspectives on Politics, 18(3), 835-850.

[xxv] Regan, Tom. Does ‘24’ encourage US interrogators to ‘torture’ detainees? The Christian Science Monitor, 12 février 2007.

[xxvi] Wong, M. (2019) « Explaining moral lessons in media can help children behave more prosocially. » The Aggie. Consulté sur le site https://theaggie.org/2019/08/20/explaining-moral-lessons-in-media-can-help-children-behave-more-prosocially/

[xxvii] Empatico. (n.d.) Practice Exercises: Critical Thinking. Consulté sur le site <https://empatico.org/activity-plan/critical-thinking>

[xxviii] Dean, J (2010). Conformity: Ten Timeless Influencers. PsyBlog.