Éthique et renseignements personnels

L’une des plus grandes décisions éthiques que les jeunes doivent prendre concerne la façon de traiter les renseignements personnels des autres. Les services et les plateformes qu’utilisent les jeunes étant presque tous réseautés, chaque fois qu’un ami ou un contact affiche quelque chose, ils doivent décider s’ils veulent le partager et de quelle façon. Aussi, les jeunes pourraient partager par inadvertance les renseignements personnels d’autres personnes lorsqu’ils affichent leur propre contenu. 

Il existe quatre principales façons de partager le contenu personnel d’autres personnes en ligne. Nous pouvons afficher une photo ou une vidéo dans laquelle figurent d’autres personnes, avec ou sans leur connaissance ou consentement. Nous pouvons partager du contenu que quelqu’un d’autre a affiché, comme transférer une photo qui nous a été envoyée ou publier un lien vers la vidéo de quelqu’un ou même « aimer » le message Instagram de quelqu’un (ce qui le rend visible à vos amis Facebook ainsi qu’à ses amis). Dans ces deux cas, on peut également « identifier » des photos ou des messages avec le nom d’une personne, ce qui les rend visibles aux amis de cette personne et la fera apparaître dans le moteur de recherche. Aussi, « l’étiquetage » de personnes permet également d’identifier l’endroit où elles se trouvaient à un moment en particulier.

Il ne fait aucun doute que les jeunes savent combien il est facile pour leurs renseignements personnels d’être partagés à des publics indésirables, et bons nombre d’entre eux passent beaucoup de temps à gérer qui voit quoi à leur propos en ligne.[i] Environ la moitié des élèves ont supprimé quelque chose qu’ils avaient affiché les concernant ou demandé à quelqu’un de supprimer quelque chose qu’elle avait affiché à leur sujet.[ii] Le partage de contenu en ligne n’est pas que réservé aux jeunes : le terme anglais « sharenting » [la pratique qu’ont certains parents de publier des photos de leurs enfants dans leurs médias sociaux sans leur consentement] a été inventé pour décrire l’habitude qu’ont certains parents de publier des photos de leurs enfants sans leur consentement[iii], ce qui dérange près de la moitié des adolescents[iv].

Comme les médias numériques sont partageables et persistants, sur les médias sociaux, le partage n’est pas un choix, mais un geste par défaut : plutôt que de « peser le risque de leur participation, les jeunes emploient des stratégies pour atténuer ces risques[v] ». Par exemple, lorsqu’ils publient des photos en ligne avec leurs amis ou leur famille, les jeunes se demandent généralement lesquelles ils devraient partager plutôt que de se demander s’ils devraient les partager[vi].

L’une des raisons les plus courantes pour lesquelles les jeunes partagent du contenu en ligne est le désir d’attirer l’attention de leurs amis et de leurs pairs : les jeunes disent qu’ils publient des photos en ligne pour « avoir l’air sociable ». L’objectif attribué à la publication de n’importe quelle photo sur leur compte de médias sociaux était de créer un « marqueur public de connexion sociale et d’affichage de sociabilité[vii] ». Les attentes sociales peuvent également influencer les décisions de partage. Les jeunes ne sont pas nombreux à se désengager des « discussions, des plaisanteries et des commérages sexuels » qui se passent en ligne, et cette pression amène les filles à envoyer des sextos (photos nues, semi-nues ou séduisantes). Bien que cette pression puisse pousser les jeunes à sexter, elle peut également les pousser à partager avec leurs pairs les sextos qu’ils reçoivent afin d’obtenir une approbation sociale, ou d’éviter les risques sociaux qui sont associés à un refus.[viii] (Les recherches de HabiloMédias ont révélé que les garçons et les filles sont à peu près aussi susceptibles d’envoyer des sextos, mais que les garçons sont plus susceptibles de les transférer et de recevoir des sextos transférés[ix].)

De même, alors que les jeunes (et les adultes) peuvent décider de partager du contenu personnel pour obtenir l’attention d’une seule personne, ils peuvent partager le contenu d’une autre personne pour la même raison. Même si le contenu est partagé avec un public plus large, la motivation peut être principalement d’obtenir la réaction d’une personne, comme lorsque des photos, des vidéos ou d’autres types de contenu sont partagés après une rupture.

Ayant un accès aussi facile aux renseignements personnels de leurs pairs, les jeunes doivent constamment prendre des décisions éthiques sur ce qu’ils peuvent partager ou non. Malheureusement, les jeunes ignorent souvent les dimensions éthiques de ce choix, s’attendant à ce que les autres leur disent qu’ils ne veulent pas qu’un contenu soit partagé. Parallèlement, les jeunes désapprouvent activement ce qu’ils appellent le partage à outrance, soit partager du contenu avec des gens qui ne font pas partie du public cible.

Le partage à outrance est probablement la forme la plus commune : le contenu est alors partagé par inadvertance ou la personne qui le partage n’a pas pensé aux conséquences possibles. La meilleure façon d’atténuer cette forme de partage à outrance est d’enseigner aux enfants des règles et des procédures simples à respecter avant de partager ou de diffuser quoi que ce soit afin de leur rappeler de réfléchir aux conséquences pour les autres.

Le partage intentionnel de contenu personnel est plus important. Un tel partage peut se produire pour de nombreuses raisons (créer des situations dramatiques ou blaguer aux dépens d’un ami), mais le fil conducteur est un mépris pour les sentiments de la personne visée et les conséquences du partage.

Ce manque de considération et de respect peut souvent mener à de l’intimidation et à des abus. De nombreux incidents de cyberintimidation se produisent lorsque des amitiés ou des relations amoureuses se désintègrent, ce qui peut souvent amener une ou les deux parties à utiliser du contenu personnel pour se venger.[x] Une fois que du contenu privé est rendu public, même auprès d’un public limité, il peut se répandre dans le monde entier : toute une industrie de sites Web « parasites » en profite en recherchant et en republiant ou en transformant des photos en images nues ou suggestives pour les publier dans des forums publics[xi]. De même, les auteurs de violence dans les relations abusives peuvent utiliser la menace de la divulgation de matériel personnel pour contraindre ou faire chanter leurs partenaires, ou encore, si elles sont dans une relation malsaine, les faire chanter pour qu’elles continuent à envoyer d’autres photos[xii]. Lorsque ces photos sont partagées, il y a un effet d’entraînement qui fait qu’elles sont partagées encore et encore, entraînant potentiellement de la cyberintimidation de la part de leurs pairs[xiii].

Le partage à outrance peut également découler de la confusion quant aux limites. Les parents veulent souvent faire partie des vies virtuelles de leurs enfants, alors que les jeunes, surtout les adolescents, préfèrent maintenir une limite entre eux et leurs parents. Par conséquent, les adolescents sont plus susceptibles de considérer qu’il y a « partage à outrance » lorsque les parents voient le contenu qu’ils ont affiché.[xiv]

 

 

[i] Steeves, V. (2014). Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La vie en ligne. Ottawa: HabiloMédias. <https://habilomedias.ca/jcmb/vie-en-ligne>

[ii] Steeves, V. (2014). Jeunes Canadiens dans un monde branché, Phase III : La vie en ligne. Ottawa: HabiloMédias. <https://habilomedias.ca/jcmb/vie-en-ligne>

[iii] Beauchere, J. (2019) Teens say parents share too much about them online – A Microsoft Study. Microsoft. Retrieved from https://blogs.microsoft.com/on-the-issues/2019/10/09/teens-say-parents-share-too-much-about-them-online-microsoft-study/

[iv] Ibid.

[v] Johnson, M, Steeves, V, Regan, L & Foran, G. (2017). Partager ou ne pas partager : Comment les adolescents prennent des décisions en matière de vie privée à propos des photos sur les réseaux sociaux. Ottawa : HabiloMédias.

[vi] Ibid.

[vii] Johnson, M, Steeves, V, Regan, L & Foran, G. (2017). Partager ou ne pas partager : Comment les adolescents prennent des décisions en matière de vie privée à propos des photos sur les réseaux sociaux. Ottawa : HabiloMédias.

[viii] Ringrose, J et al. (2013). A Qualitative Study of Children, Young People and ‘Sexting’. <http://www.nspcc.org.uk/Inform/resourcesforprofessionals/sexualabuse/sexting-research_wda89260.html>

[ix] Johnson, M., Mishna, F., Okumu, M., Daciuk, J. Le partage non consensuel de sextos : Comportements et attitudes des jeunes Canadiens. Ottawa: HabiloMédias, 2018

[x] Bright, R., & Dyck, M. (2011). It Hurt Big Time: Understanding the Impact of Rural Adolescents’ Experiences with Cyberbullying. Northwest Journal of Teacher Education, 9(2), 9.

[xi] Kirkey, S (2018). Do you know where your child’s image is? Pedophiles sharing photos from parents’ social media accounts. The National Post. Retrieved from https://nationalpost.com/news/canada/photos-shared-on-pedophile-sites-taken-from-parents-social-media-accounts

[xii] Fyfe, W (2020). Lockdown ‘sexting’ blackmail concerns for young people sharing images. BBC News. Retrieved from https://www.bbc.com/news/uk-wales-54194093

[xiii] Ibid.

[xiv] Marwick, A, Boyd, D. (2011). Social Privacy in Networked Publics: Teens’ Attitudes, Practices, and Strategies. A Decade in Internet Time: Symposium on the Dynamics of the Internet and Society. Retrieved from http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1925128