Influence des stéréotypes sur les jeunes

Des générations d’enfants nord-américains ont grandi en regardant des films de « cow-boys et d’Indiens » et en lisant Les Aventures de Tom Sawyer ou La Petite Maison dans la prairie. Ces films et romans populaires n’ont fait que renforcer l’idée que les autochtones appartenaient au passé, éternellement occupés à chasser le bison ou à se faire pourchasser par la cavalerie de l’armée américaine, et que le destin les avait placés pour toujours en marge de la « véritable » société. De telles impressions acquises dès le plus jeune âge sont difficiles à effacer: comme l’explique l’écrivain anishinaabe Jesse Wente, « en l’absence de représentations appropriées des peuples autochtones dans les médias, les fausses représentations deviennent la "vérité" acceptée[1] ».

Le problème de cette représentation se pose aujourd’hui dans un autre espace privilégié par les jeunes autochtones : les jeux vidéo. 

L’écrivain métis Naithan Lagace souligne que les jeux vidéo « reproduisent en grande partie les images des films hollywoodiens, des séries télévisées et des bandes dessinées » qui ont contribué à « l’altérisation des cultures, des traditions et des communautés autochtones par le biais de représentations désormais connues sous le nombre de "noble sauvage", de "rédempteur à la peau rouge" et de "sauvage assoiffé de sang" » et perpétuent des stéréotypes visuels qui brouillent le caractère distinctif des cultures autochtones, comme le fait de montrer tous les personnages autochtones portant des peaux de daim, des coiffes à plumes et des peintures de guerre[2].

Lorsque l’existence et la valeur d’un groupe de personnes ne sont pas confirmées par leur inclusion dans les informations et le divertissement, le message est clair : elles ne sont pas importantes. Selon Jeremías Tunubalá, un chef des Guambiano (un peuple autochtone d’Amérique centrale), « par la folklorisation, l’exotisation et la banalisation des peuples autochtones, les médias normalisent et sanctionnent l’exclusion et effacent les différences entre les diverses cultures autochtones[3] ».

Le sport est un autre domaine où persistent des représentations très stéréotypées des peuples autochtones : « Les Autochtones sont les seuls humains à être présentés comme des mascottes et des noms d’équipe, ce qu’on ne voit pas vraiment chez d’autres peuples, explique Jesse Wente. Ils sont généralement nommés d’après des animaux, et il est important de considérer que la plupart des effets et des objectifs négatifs de la majorité de ces représentations erronées dans les médias mènent à une déshumanisation des peuples autochtones, de sorte que le fait d’être représentés comme des mascottes devient soudainement acceptable pour l’ensemble de la population[4] ».

S’ils prennent au sérieux le portrait des autochtones que leur font les médias, les enfants grandiront avec une vision biaisée de ce que sont les Premières Nations. Cette situation a un impact non seulement sur les jeunes non autochtones, mais aussi sur la façon dont les jeunes autochtones se perçoivent. Comme l’a déclaré un témoin à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées : « Je détestais mon peuple. Je me demandais pourquoi nous étions censés être des bons à rien, mais je ne savais pas… Je pensais que ces gens qui me disaient qui nous étions en tant que peuple disaient la vérité. Ce n’était pas la vérité, n’est-ce pas[5]? » C’est pourquoi, malgré la sous-représentation des Autochtones dans les médias, les nouvelles représentations sont souvent vues avec scepticisme. Elizabeth LaPensée, critique et conceptrice de jeux vidéo anishinaabe-métis, a décrit son expérience des personnages autochtones dans les jeux vidéo : « Une partie de nous est tellement heureux qu’un personnage autochtone soit représenté, mais en même temps, il y a toujours cette combinaison de stéréotypes[6]. »

Alors que les représentations négatives ont un impact, les représentations plus exactes et positives ont aussi un impact. Charitie Ropatie, une étudiante universitaire yup’ik, a avoué qu’elle et ses amis ont pleuré la première fois qu’ils ont regardé le dessin animé Molly of Denali : « Nous pleurions. Nous avons réalisé que nous avions enfin une représentation positive. Mes frères et sœurs, les jeunes autochtones et moi-même pouvions nous y reconnaître. » Cependant, ce type de représentation nécessite un réel engagement de la part du producteur : Molly of Denali compte plus de 60 scénaristes, producteurs, musiciens et conseillers autochtones et n’a embauché que des acteurs autochtones pour les rôles d’Autochtones[7].

De la même manière, les initiatives communautaires pour augmenter la visibilité peuvent aider à surmonter la perception voulant que les nations autochtones soient un « peuple disparu » et à montrer que « les Premières Nations sont toujours là, que nous sommes toujours sur leur terre, que nous la partageons, mais que nous sommes toujours sur leur terreviii ». Par exemple, l’inscription de noms anishinaabe sur des plaques de rue de Toronto, un effort conjoint du projet Ogimaa Mikana et de la zone d’amélioration commerciale de Castle.

Au Canada, l’éveil d’une nouvelle sensibilité et le soutien donné à la diversité culturelle ont amené quelques changements positifs. De jeunes autochtones apparaissent régulièrement ou sont interviewés dans les émissions de télévision pour enfants diffusées après l’école ; l’Office national du film réalise depuis des années des documentaires sur la vie actuelle des Premières Nations ; la CBC a produit plusieurs séries de fiction dont l’action se passe dans des communautés autochtones et qui ont remporté beaucoup de succès, et les artistes autochtones vont chercher la reconnaissance du grand public depuis une vingtaine d’années. Tout cela, ajouté à la création de réseaux de télévision et de radio des peuples autochtones, contribue à une vision plus équilibrée et une plus grande variété de points de vue.

Il reste que dans la pratique ces nouvelles voix ne représentent qu’une petite portion des médias consommés par les jeunes d’aujourd’hui. Le téléjournal du soir, les images « indiennes » triviales diffusées par la culture sportive, les produits de l’empire Disney, la mauvaise représentation ou l’absence de représentation dont souffrent les autochtones dans la plupart des grands médias, tout cela continue d’influencer le point de vue des jeunes sur les cultures et les peuples autochtones, et il est donc plus important que jamais de doter les jeunes des compétences médiatiques dont ils ont besoin pour reconnaître et combattre les stéréotypes et la sous-représentation, et de créer des médias qui reflètent leurs propres expériences, leur culture et leur identité.

 


[1] Wente, J. Anishinaabe, Serpent River First Nation. (2019) Testimony to the National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls.

[2] Lagace, N. (2018). Indigenous Representations and the Impacts of Video Games Media on Indigenous Identity.

[3] De Grave, I. (2012) « Avatar Stereotype of Indigenous Peoples: Bane or Blessing? » Inter Press Service. Consulté sur le site http://www.ips.org/blog/ips/avatar-stereotype-of-indigenous-peoples-bane-or-blessing/#comments [traduction]

[4] Wente, J. Anishinaabe, Serpent River First Nation. (2019) Testimony to the National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls. [traduction]

[5] Sandra L. Cree/Dakota. (2019) Testimony to the National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls. [traduction]

[6] CBC News. (2017) « Indigenous game designer challenges stereotypes. » Unreserved, CBC News. Consulté sur le site https://www.cbc.ca/radio/unreserved/unreserved-honours-the-strength-of-indigenous-women-1.3472826/indigenous-game-designer-challenges-stereotypes-1.3476519 [traduction]

[7] Associated Press. (2020) « Indigenous Molly of Denali is more than a cartoon for some. »CBC News. Consulté sur le site https://www.cbc.ca/news/canada/north/molly-of-denali-fans-1.5433542