La sexualité et les relations amoureuses à l'ère du numérique

Matthew Johnson

Une relation de longue date existe entre Internet et le sexe. D'aussi loin que les années 1980, Usenet et les systèmes de babillard électronique locaux étaient utilisés pour partager des fichiers texte pornographiques et des images grossières, et les gens se servaient des médias numériques pour établir et entretenir des relations en ligne. Toutefois, les estimations portant sur le volume de trafic en ligne et le contenu à teneur sexuelle ont tendance à être exagérées[1] et notre nouveau rapport – La sexualité et les relations amoureuses à l'ère du numérique – tiré du sondage d'HabiloMédias Jeunes Canadiens dans un monde branché, mené auprès de 5 436 élèves, montre que la sexualité et les relations amoureuses n'occupent qu'une place relativement petite dans la vie en ligne des jeunes Canadiens.

Considérons, par exemple, trois mesures d'intimité en ligne : ceux qui, selon les jeunes, devraient pouvoir voir les messages qu'ils publient sur les réseaux sociaux, ceux à qui les jeunes communiquent leurs mots de passe et ceux à l'égard de qui les jeunes épurent leur contenu en ligne et bloquent certains éléments sélectifs. Neuf élèves sur 10 de la 7e à la 11e année estiment que leurs amis devraient pouvoir voir le contenu qu'ils publient sur les réseaux sociaux tels que Facebook, comparativement à 6 sur 10 qui acceptent de partager le même contenu avec un petit ami ou une petite amie. Étant donnée l'importance cruciale des réseaux sociaux dans la vie des élèves – 82 % des élèves de la 7e à la 11e année possèdent un compte Facebook, nombre qui s'élève à 95 % en 11e année[2] – il est étonnant de constater qu'aussi peu d'élèves semblent y interagir avec un partenaire amoureux. S'il en est ainsi, c'est peut-être car l'utilisation des réseaux sociaux serait très sexospécifique : bien que le même nombre de garçons et de filles possèdent un compte Facebook, les filles sont plus actives que les garçons en ce qui concerne la publication de contenu et beaucoup plus de filles que de garçons possèdent des comptes sur d'autres réseaux sociaux tels que Twitter, Instagram, Pinterest et Tumblr.[3]

De même, beaucoup plus de filles que de garçons affirment communiquer leurs mots de passe. Trente et un pour cent des filles indiquent qu'elles communiqueraient le mot de passe de leur compte de réseautage social, de leur compte de courriel ou de leur téléphone cellulaire à leur meilleur ami ou meilleure amie, comparativement à 21 % des garçons. L'attitude générale concernant la communication des mots de passe est aussi sexospécifique : 46 % des garçons disent qu'ils ne communiqueraient pas leurs mots de passe à quiconque, comparativement à 35 % des filles. Mais la communication des mots de passe à un partenaire amoureux, quoique nettement moins courante dans l'ensemble, n'est pas différente selon les sexes : un nombre presque équivalent de garçons (17 %) et de filles (15 %) le feraient. Si la communication des mots de passe aux parents se fait principalement à des fins pratiques ou par mesure de sécurité, la communication des mots de passe à un meilleur ami est quasi certainement une marque de confiance et de proximité. Pour une raison ou une autre, une telle marque semble bien moins fréquente entre les partenaires amoureux. Cela s'explique peut-être parce que ce sont surtout les filles qui utilisent la communication des mots de passe comme gage de confiance, ce qui rend le geste moins significatif dans une relation amoureuse.

Une autre façon intéressante de considérer la valeur accordée par les jeunes aux différents types de relations est dans l'effort qu'ils mettent à cacher du contenu d'une personne. Un élève sur 5 affirme avoir déjà supprimé du contenu en ligne (par exemple, une photo ou un commentaire) pour empêcher un ami ou un membre de la famille de le voir, comparativement à moins de 1 sur 10 qui dit avoir supprimé quelque chose pour empêcher un petit ami ou une petite amie de le voir. En plus de supprimer du contenu, les jeunes Canadiens possèdent de grandes habilités pour l'utilisation des outils des réseaux sociaux de façon à bloquer le contenu de manière sélective et ainsi contrôler qui, parmi leurs contacts, pourra voir un élément particulier qu'ils ont publié. Trente et un pour cent des élèves ont déjà bloqué un ami actuel de cette façon, comparativement aux 20 % qui ont bloqué des anciens amis et seulement aux 10 % qui ont bloqué une ex-petite amie ou un ex-petit ami. Dans l'ensemble, il semblerait que les jeunes Canadiens aient plus tendance à entretenir leurs relations amoureuses hors ligne qu'en ligne et que les partenaires amoureux occupent une place beaucoup plus petite que les amis ou les membres de leur famille dans leur vie en ligne. Il est intéressant de noter que les garçons sont tout aussi, sinon plus susceptibles que les filles de voir l'accès en ligne comme un gage d'intimité dans une relation amoureuse; comme nous l'avons indiqué plus haut, un peu plus de garçons que de filles seraient disposés à communiquer leurs mots de passe à leur partenaire amoureux et beaucoup plus de garçons que de filles – 27 %, comparativement à 17 % – estiment que « les petits amis et petites amies ne devraient pas pouvoir lire les messages confidentiels de l'un et l'autre sans d'abord demander la permission ». Il se peut que les garçons recherchent une intimité affective dans leurs relations amoureuses, tandis que les filles y tiennent plus en amitié.

Qu'en est-il des relations amoureuses qui sont exclusivement virtuelles? Un nombre relativement faible d'élèves – 14 % des garçons et 12 % des filles – déclarent qu'ils ont déjà prétendu être quelqu'un d'autre en ligne pour flirter. Ce nombre a diminué de façon significative depuis notre sondage de 2005, ce qui laisse penser que les élèves d'aujourd'hui ressentent moins le besoin d'utiliser l'anonymat pour « tâter le terrain » en matière de relations amoureuses; cette différence pourrait aussi traduire le fait que les normes sociales en matière d'anonymat en ligne ont évolué au cours de cette période et que certaines des plateformes en ligne d'aujourd'hui les plus populaires – Facebook en particulier – exigent aux utilisateurs d'interagir avec leur propre nom. (Nous n'avons pas de données portant sur le nombre de jeunes qui établissent des relations à partir de leur propre identité.) Il se peut également que les jeunes réagissent aux messages de sécurité en ligne – et, en particulier, à la peur de l'exploitation sexuelle en ligne – en choisissant de rester à l'écart des plateformes où l'anonymat ou l'utilisation d'un pseudonyme sont la norme.

Internet a aussi sa place en ce qui concerne les autres aspects de la sexualité et des relations, mais elle n'est pas aussi grande que celle que l'on pourrait imaginer. Seulement 8 % des élèves – 11 % des garçons et 6 % des filles – disent avoir déjà utilisé Internet pour trouver de l'information sur la sexualité, bien que ce nombre s'élève à 20 % en 11e année. (Il est à noter que ces résultats se distinguent de ceux sur la recherche de contenu à caractère sexuel en ligne, dont il est question ci-dessous.) La différence entre les sexes est inversée lorsque l'on analyse la recherche d'information sur les difficultés relationnelles, bien que les chiffres globaux ne sont pas beaucoup plus élevés : 14 % des élèves – soit 9 % des garçons et 18 % des filles – utilisent Internet pour obtenir de l'information sur des questions relationnelles, telles que les relations amoureuses, les relations harmonieuses avec les amis et les membres de la famille et la façon de composer avec l'intimidation. (Ce nombre croît lui aussi au fur et à mesure que les élèves vieillissent, culminant à un peu moins de 25 % en 11e année).

Le nombre de jeunes qui cherchent de la pornographie en ligne est également inférieur à ce à quoi on pourrait s'attendre. Évidemment, une différence importante s'établit entre les sexes : tandis que 23 % de l'ensemble des élèves de la 7e à la 11e année indiquent avoir recherché de la pornographie en ligne, ce pourcentage se divise ainsi : 40 % des garçons et seulement 7 % des filles. En outre, les garçons qui recherchent de la pornographie le font normalement souvent : 14 % ont rapporté rechercher de la pornographie une fois par jour ou plus, 14 %, une fois par semaine et 7 %, une fois par mois, comparativement à seulement 2 % qui en recherchent une fois par année et 3 % qui en recherchent moins d'une fois par année. Est-il vrai que seulement un quart des élèves de la 7e à la 11e année – et seulement 40 % des garçons – recherchent de la pornographie en ligne? Il est tout à fait possible que certains élèves étaient réticents à admettre qu'ils adoptent ce comportement (même si le sondage était anonyme, il se tenait en salle de classe). Cela pourrait expliquer l'observation selon laquelle les élèves francophones du Québec sont nettement plus susceptibles d'affirmer qu'ils recherchent de la pornographie quotidiennement ou hebdomadairement; plutôt que d'y voir une réelle différence de comportement, ce résultat pourrait refléter une différence dans les attitudes d'ordre culturel. Il est également possible qu'en demandant aux élèves s'ils recherchent de la pornographie en ligne, l'étude serait passée à côté d'autres moyens d'accéder au contenu sexuel qui seraient plus fréquents, comme la visualisation de contenu qu'un ami leur envoie ou leur transmet.

En ce qui concerne le sexe et les liaisons amoureuses, il semblerait que les habitudes des jeunes Canadiens sont, à certains égards, étonnamment démodées. Bien qu'Internet joue un rôle important dans la vie sexuelle et amoureuse des jeunes Canadiens, il semblerait que ce rôle soit plus modeste que celui qu'il joue en ce qui concerne leurs amitiés ou leurs relations familiales. L'importance de ce rôle pourrait évoluer à mesure que les jeunes vieillissent et intègrent l'enseignement post-secondaire ou le marché du travail, mais tout au long de la pré-adolescence et de l'adolescence, au moins, les relations amoureuses et sexuelles ont surtout lieu hors ligne.

Les prochains rapports basés sur les données du sondage Jeunes Canadiens dans un monde branché examineront le contenu offensant en ligne ainsi que les tendances et les recommandations à cet endroit.

Cliquez ici pour lire le rapport complet.

Jeunes Canadiens dans un monde branché – Phase III : La sexualité et les relations amoureuses à l'ère du numérique a été rendu possible grâce aux contributions financières de l'Autorité canadienne pour les enregistrements Internet, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et de l'Alberta Teachers' Association.

 
[1] Ward, Mark. « Web porn: Just how much is there? » The Guardian, 30 juin 2013.

[2] Steeves, Valerie. Jeunes Canadiens dans un monde branché, phase III : La vie en ligne. HabiloMédias, 2014.
[3] Ibid.